En mars 2008, Maud et Barbara – responsable du secteur Pamir, Pakistan et Kirghizistan chez Tamera – se lancent sur une traversée de l’Himalaya à la rencontre des femmes de ces hautes terres. Pendant un an, seules et en autonomie, elles relateront leurs aventures sur leur blog « Parler d’Elles », puis, au retour, à travers des conférences dans différents festivals et le livre « Himalaya, regard de femmes », dans lequel elles présentent 15 portraits de femmes parmi les multiples aventures partagées avec les femmes et les hommes rencontrés au Kirghizistan, en Chine (Xinjiang et Kham), au Pakistan,en Inde (Ladakh-Zanskar et Sikkim) et au Népal.
Après le Népal, il y a deux semaines, Barbara nous emmène cette fois-ci dans la région du Ladakh-Zanskar en Inde, à la rencontre des religieuses de la nonnerie de Lingshed. Des femmes espiègles et pleines de joie, qui ont fait le choix d'un autre mode de vie.
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#3 Ladakh-Zanskar, Inde
Arrivées du Pakistan, notre introduction dans le pays par Amritsar fut un choc. Le chaos indien n’est pas un leurre et nous décidâmes assez vite de rejoindre, à la bonne saison, de juin à août, la région du Ladakh-Zanskar et ses montagnes et vallées colorées. Les monastères, habités de nonnes et moines joyeux, les villageois accueillants : le « petit Tibet » reste encore aujourd'hui inoubliable.
Une révélation, teintée de la douceur du temps passé auprès des nonnes de Lingshed, village isolé au cœur de la « Grande traversée du Ladakh-Zanskar ».
Les « chomos », nonnes de la gompa de Lingshed
« Je préfère la vie de nonne, être mariée c'est trop difficile ! »
Les nonnes de Lingshed © Barbara Deliere - Maud Ramen
« D'où viens-tu ? Comment t’appelles-tu ? Tu parles ladhaki ? Tu veux devenir nonne ? »
Elles courent, chuchotent et rigolent. Leurs yeux pétillent et leur timidité disparaît pour laisser place aux multiples questions, une fois l'instituteur parti. « D'où viens-tu ? Comment t’appelles-tu ? Tu parles ladhaki ? Tu veux devenir nonne ? »
La chomo gompa, de Lingshed, dans le village du même nom, au creux de la vallée qui délimite le Zanskar du Ladakh, est une nonnerie, dont aujourd'hui, à notre arrivée exactement, nous fêtons le sixième anniversaire. La gompa regroupe une vingtaine de nonnes de 8 à 40 ans n'ayant pas d'actes de naissance et, devant le visage marqué des plus âgées, nous aimerions dire que certaines ont légèrement plus que ce qu'elles annoncent ! Les aînées accompagnent et éduquent les plus jeunes qui, toutes nouvelles, adoptent devant nous, soit une position en retrait, compréhensible, comme Dolma, soit un caractère effronté, comme Angmo, la petite chipie.
Espiègles et joueuses, c'est lors du programme chargé, qui rythme le quotidien de tout ordre monastique, que le sérieux revient en force. À tour de rôle, deux nonnes organisent la journée. « Bang, bang », le tambour annonce le réveil à 5 h 50. Douche sommaire. Les mains aspergent d'eau froide le visage encore tout engourdi. À 6 heures c'est la puja où, lors de la cérémonie quotidienne, les prières et les voix s'élèvent en chœur dans la salle à peine remplie... Des filles dormiraient-elles encore ?
6 h 30, petit-déjeuner. Les petits bols en bois débordent de tsampa, la farine d'orge grillée qui, mélangée avec du thé au beurre de yack, rance et salé, devient une pâte que les nonnes dégustent avec appétence jusqu'à s'en lécher les doigts. Puis, temps libre pour méditer, étudier jusqu'à 10 heures, avant que les cours ne s'enchaînent. Hindi, anglais, mathématiques jusqu'à 13 heures, avant le repas et le retour en classe pour deux heures d'enseignement bouddhiste, récompensé par un goûter composé de leur mets favori, tsampa et botattia, le fameux thé salé. Temps libre enfin, pour s'occuper de soi ou des charges quotidiennes, qui se termine par le dîner de 20 heures avant le sommeil réparateur.
Pour les repas, pas de surprise. Midi et soir, c'est toujours la même chose : riz-lentilles, sans sel, poivre, ni épices, certainement le plus fade du monde, et le soir, la tukpa, soupe locale, composée de pâtes à la farine d'orge grillée et de légumes verts. Les « temps morts » quant à eux, sont généralement comblés par le travail aux champs, les lessives, les réparations ou encore les visites au village qui, généralement le dimanche, ne sont autorisées qu'une semaine sur deux.
Malgré les contraintes et la vie routinière, à peine installées, les nonnes ont révélé une présence, une énergie débordante et une spontanéité touchante. Et, dans cette atmosphère entre force et douceur, la conviction qu'être nonne est ce qui pouvait leur arriver de mieux : « C’est une chance pour nous d'être ici, car nous pouvons suivre des cours » nous disent-elles. Elles ont une terrible soif d'apprendre qui semble même être le seul but de leur existence. Apprendre et aussi transmettre, c'est pourquoi notre présence et nos échanges sont également un moyen de voir et de s'interroger sur le monde extérieur.
Tous les jours la même histoire pour ces femmes aux allures de garçons. Crâne rasé à l'instar des bijoux, chants et danses interdits. La féminité réduite au minimum. Si ce n'était leur voix, on pourrait les confondre avec des moines.
Alors, quels avantages pour ces petits anges qui doivent s'accommoder de cette destinée si différente de celles des autres femmes ?
En Europe, cette vie monacale serait jugée difficile, mais ici le contexte est particulier. Comme dans de nombreux pays du sud, la tradition régule les propriétés et régit le système social. À moins d’être riche ou de vivre dans une grande ville, rares sont celles et ceux qui peuvent réellement décider de leur avenir. Au Ladakh, l'aînée de la famille devra se marier, avoir des enfants, six en moyenne, s'occuper de la maison et travailler aux champs. Même si l'école publique est accessible autant pour les filles que pour les garçons, l'enseignement scolaire s'arrête là où la tradition familiale commence. La seconde sera nonne, et la troisième, « dévouée » à la famille, s'occupera de ses parents vieillissants. Pour les garçons même parcours, l’aîné aura les terres, le second sera moine et le dernier vivra aux dépens des autres.
Alors, pour les nonnes de Lingshed, même si elles ne pourront jamais avoir d’enfants, « ce n'est pas grave, j'ai mes nièces et mes neveux, je préfère la vie de nonne, être mariée c'est trop difficile », dit Tashi avec un petit rire.
Pour Lobsang, être nonne est une révélation : « Je suis très heureuse et je pense qu’il faut être totalement dévouée aux principes pour l'être vraiment. » Certainement la plus rigolote et extravertie du groupe, elle peut être très « à cheval » sur les principes, lorsque l'on en vient aux serments, qu'elle valorise plus que tout. Ainsi, pour elle et comme beaucoup dans le cercle religieux, lorsque des nonnes ou des lamas décident de se tourner vers une vie matrimoniale, schéma autorisé qui se produit quelquefois, leur choix est souvent considéré comme une trahison, et non un acte de courage et de sincérité.
Elles sont persuadées que leur place est ici : « Si bien sûr, mon père m'a demandé si je voulais être nonne. » Mais décide-t-on vraiment quand on n'a que 8 ans ?
Le plus important est de voir qu'elles sont véritablement joyeuses, elles rayonnent, vraiment. Elles le savent, la nonnerie leur offre des opportunités et une certaine liberté à laquelle de nombreuses femmes rêveraient. Assises sous les arbres, Dolma et son amie se confient un peu plus chaque jour : « J'aimerais apprendre plus, partir à Leh ou Dharamsala, j'adore apprendre et ici ce n'est pas assez... » Après un temps de pause, elle rajoute : « Ca me rend triste ! »
Pour Nawang et Jongchup Wangmo, cette chance est arrivée. Originaires de Lingshed où vit leur famille, à 17 ans elles sont parties à Dharamsala grâce à l'oncle de Nawang. Dans leur nonnerie, la philosophie bouddhiste est au centre de leur enseignement, elles méditent, et l'apprentissage quotidien leur apporte une énorme joie. Elles ont pu venir en vacances à Lingshed pendant un an, à condition qu'elles enseignent à l'école publique du village. Nous y sommes allées avec elles. Les élèves rentrent au pas en classe, au rythme du tambour.
À même le sol, pas de chaises ni de tables. Les niveaux sont tellement différents que certains ont du mal à suivre et sont indisciplinés, Nawang est vite submergée. En une heure seulement avec eux, nous sommes épuisées ! À leur manière, nous sommes entrées dans leur univers féminin. La sensibilité et l'émotion sont des caractéristiques qu'on ne pourra leur enlever. Elles s'effacent et redeviennent des petites filles, sous l'autorité du moine enseignant, Tashi. Malgré sa bonne volonté, il ne peut pas faire oublier qu'il est un homme et que, forcément, tout un monde les sépare. « Ce serait plus facile si c'était une femme, on se sentirait plus à l'aise », nous dit Tsewang. « Et alors, pourquoi ce ne sont pas des nonnes qui enseignent aux nonnes ? » Pas de réponse, juste un sourire.
Le même sourire taquin qui témoigne que ces femmes ont su garder leur force d'esprit et s'amusent de cette situation. Les moines ont cet avantage d'être reconnus comme l'autorité suprême et, comme eux, les nonnes sont plus respectées qu'une personne lambda. À la tête de chaque nonnerie pourtant, c'est un chef lama qui dirige et prend les décisions. Une hiérarchie qui traverse le temps et les cultures, et qui, même si elle semble être parfaitement comprise et acceptée, est la petite goutte qui pourrait faire tout changer.
© Barbara Deliere - Maud Ramen
Partir au Ladakh-Zanskar avec Tamera
Spécialiste de l'Himalaya, l'agence Tamera basée dans le vieux Lyon propose une large gamme de voyages et treks au Ladakh-Zanskar : rencontre avec les peuples des vallées perdues, découverte de fêtes monastiques, traversée sur Chadar le fleuve gelé, expédition au lac Tso Moriri...
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