Fin octobre, nous sommes neuf à tenter l'aventure de partir ou repartir... au Yémen. Non pas sur le continent souffrant, mais sur l'île ensorcelante de Socotra. Une île calme, variée dans ses ambiances, une île, aussi, un peu à la Brel « posée sur l'autel de la mer... espérante comme un désert/qu'un nuage de pluie caresse ». Depuis ses littoraux baignés de vagues aux mille nuances de bleu à ses sommets embruinés au matin, ce paradis des botanistes nous a généreusement offert des paysages surprenants en diversité et en beauté, des adeniums dans tous leurs états, des rencontres chaleureuses, d'immenses plages désertes, des baignades inoubliables, des solitudes bienfaisantes comme des instants de partage. Voici un retour en images de ce voyage là-bas, hors du temps.
Tous les voyages à Socotra au Yemen.
Socotra, vraiment ?
C'était une petite musique intérieure, des souvenirs d'autrefois et il a fallu une fois se décider : Socotra. Socotra ? Le Yémen. Presqu'une décennie de désertion. Et alors : il en a fallu de la peine pour organiser ce voyage dans un pays tout coloré de rouge sur le site des Conseils aux voyageurs...
25 octobre : nous posons le pied sur cette île légendaire, dans un de ces aéroports (hélas !) de plus en plus rares : un souffle chaud saisit dès le passage de la porte de l'avion, et, tout étourdis, il y a le tarmac à traverser pour rejoindre le hall d'arrivée. Ici, on est de suite ailleurs.
Sur la route de l'aéroport à Hadibou, on ne résiste pas : déjà une première extase devant l'arbre-concombre échappé à la voracité des chèvres parce que poussant fièrement sur un rocher... Quelques pas dans la capitale et nous filons vers le wadi Ayheft. Notre première soirée sous un gigantesque tamarinier, notre premier bivouac, notre première nuit sous un ciel étincelant d'étoiles. Nous y sommes pour de vrai. Vers 5 heures, premières lueurs de l'aube s'étendant sur un cirque de montagnes magnifique et quand nous commençons de marcher dans l'oued, il fait déjà plutôt chaud...
Dans les massifs, entre dureté minérale et wadis bienfaisants
Nous avons commencé par le massif des Haggier, en posant tout d'abord nos tentes sur les hauts plateaux, non loin du point culminant de l'île – le mont Skand (1 525 m). Dans ces altitudes où des blocs de pierre blanche marquent d'austérité le paysage, les chameliers nous ont rejoints. Les plus vaillants d'entre nous sont montés au sommet et nous avons découvert les richesses naturelles et insolites de ces montagnes, en traversant le plateau de Dixham jusqu'à l'hallucinante forêt de dragonniers pluricentenaires de Firmin.
La marche avait ses alternances de difficulté... La descente dans le wadi Dirhur, par une voie buissonnière, laissera à certaines des souvenirs mémorables. Autour du feu, nous pouvions vivre de belles soirées d'échanges avec nos chameliers.
Puis, nous sommes allés sur les terres de Homlil où abondent l'arbre à myrrhe et l'adenium et nous sommes aventurés sur l'étrange et rigoureux plateau de Momi. Personne ne se rend sur ces âpres landes, mais quel spectacle !
Au gré des pistes, les eaux calmes et limpides de wadi offraient des baignades bienvenues et nous passions par de minuscules villages aménagés dans les pierres, ou construits de pierre, avec leurs petits jardins de palmiers, de papayers... Nous avons pu constater qu'un peu partout l'eau circulait suite à la pose d'immenses tuyaux. Mais bon, à Socotra, dans les hauteurs, on n'est pas cultivateur. Le bien, c'est essentiellement les bêtes et les pâturages.
Rencontres et hospitalité socotri
Outre les villes et quelques villages de pêcheurs, l'habitat socotri est traditionnellement dispersé et « un village » signifie souvent 2 ou 3 familles vivant ensemble. Comme les 2 frères du plateau de Dixham ; sous l'arbre traditionnel des cours (un figuier qui n'en n'est pas un !) nous avons pu goûter à leur hospitalité – Ah ! ce bonheur du chaï au lait ! Ou encore, aux abords de Firmin, le bel accueil tout de discrétion d'une petite famille avec la fillette partagée entre curiosité et crainte...
Tout au long de notre périple, pédestre ou 4X4, nous avons fait des rencontres heureuses – furtives, enjouées ou sérieuses. Partage de contes populaires de Socotra, explication des efforts mis en œuvre pour préserver l'exceptionnelle biodiversité des lieux, pour conserver la langue et la culture de « l'île du Phénix ». Et il y a eu tant de rires et de sourires d'enfants...
L'hospitalité inconditionnelle habite la mémoire spirituelle et corporelle des Socotri – « ... en ce temps là, il n’y avait pas de routes à Socotra, même pas d’écoles [...] les gens de Socotra n’avaient pas de riz, ou de produits importés [...] il n’y avait pas d’électricité, et les avions ne se posaient pas à Socotra ; les gens de Socotra ne vivaient que grâce à leurs troupeaux ou aux fruits de la mer ; ils dormaient dans des grottes, sur des tapis de peau de chèvre [...] et ils utilisaient les herbes plutôt que les produits pharmaceutiques ; à cette époque, les habitants de Socotra s’invitaient mutuellement dans leurs maisons et insistaient pour tuer leurs meilleures chèvres les uns pour les autres... ».
Un jardin botanique
Explorer Socotra, c'est se promener dans un ahurissant et sublime jardin botanique. Un jardin caractérisé par l'ampleur de ses plantes endémiques, des naines et des grandes, des piquantes et des fleuries, des trapues et des élancées, des secrètes et des imposantes. L'insolite et la beauté sont au ras du sol, en équilibre improbable sur des murailles vertigineuses, en foule ou solitaires. La marche dans les sentiers révèle mieux que d'aucune autre façon cette richesse incomparable et captivante. Et il n'est pas besoin d'être botaniste pour s'émerveiller et se réjouir.
Les adeniums se dressent en des allures si personnelles et sur des terres si diverses... Le dragonnier niché comme un minuscule palmier dans le sol s'élance progressivement, pendant des siècles, parfois perché dans le vide, se déployant en parapluie inimitable et fascinant. Les Dorstenia gigas s'aggrippent de façon troublante aux falaises arides...
Voici un florilège de ces plantes que nous avons rencontrées simplement, examinées parfois, essayant de retenir des noms qui parent de sérieux leur grâce désormais menacée...
Comme une fragrance « Corto Maltese »
Lorsque nous avons quitté nos chameliers, nous sommes littéralement « tombés » dans un autre univers... Déjà, il y avait un peu plus d'étrangers, alors que nous n'avions vu quasi personne dans les montagnes. Mais surtout, nous sommes « tombés » de la fraîcheur des montagnes à la chaleur à peine ventée du bord des mers. De l'enveloppement magistral des massifs pierreux et accidentés de l'archipel aux horizons infinis qu'offrent l'océan Indien et la mer d'Arabie. En profusion, outremer, colbat, indigo, turquoise, azurin,... les bleus des eaux scintillent dans les lumières. Selon des pratiques ancestrales, les pêcheurs œuvrent sur leurs bateaux colorés. Comme émergeantes d'un temps qui ne passe pas, quelques cabanes de bois et de palmes offrent parfois de l'ombre. Les paysages flottent comme des chimères.
Dunes fabuleuses les pieds dans l'eau, bateaux échoués sur le sable ou se balançant sur l'eau, pêche et fruits de mer, bruit des vagues se dépêchant sur d'immenses plages désertes, et les merveilleux dauphins aperçus tous les jours... Langueur océane soudaine et, Corto Maltese, le bel aventurier surgirait... qu'on n'en serait pas surpris... L'ambiance et les décors sont déjà là... Nous sommes dans un de ces « bouts du monde » chers au désir des voyageurs...
Un grand merci à Abdul, venu spécialement pour nous de Sanaa, et à Adam, nos guides prévenants et efficaces, à nos chauffeurs attentifs et maîtres des pistes les plus impressionnantes, à nos cuisiniers dont les conditions de travail n'étaient pas toujours confortables, et à nos sympathiques chameliers. La bonne humeur, la vigilance et la disponibilité de tous ont largement contribué à faciliter cette belle découverte de Socotra.
Crédits photos: Philippe Corman, Michel Bouletreau, Jean Marc Porte, Nawar
Découvrir Socotra
Pour découvrir, à votre tour, les merveilles de Socotra : Exploration de l'île mystérieuse de Socotra. (Les places d'avion sont en nombre limité entre Abu Dhabi et Hadibou, aussi nous conseillons aux intéressés de s'inscrire le plus tôt possible).