Village de zéribas (huttes temporaires en canne) entre Hoggar et Tefedest.
Hors de la période de récolte des dattes, il sert d’étape aux voyageurs, tel un village fantôme.
Nous laissons à notre ami Franck Charton le soin de nous conter un de ses meilleurs moments de voyage et de partager ses plus belles images. Pour cette onzième chronique, Franck nous emmène dans le grand Sud algérien, dans le Hoggar et la Tefedest.
Tamera est le spécialiste du trek dans le grand Sud algérien, un désert de type tassilien d’où émergent de grandes dunes majestueuses qui forment une palette de couleurs inouïes, du jaune au rouge. Le Hoggar n'étant pour l'instant pas accessible sans escorte militaire, nous proposons de nombreux voyages dans les tassili n'Ajjer, autour de Djanet. Nous parcourons ces espaces vierges avec nos amis touareg en randonnée, avec une logistique chamelière ou 4x4.
Chemins d’altérité
Lieu d’exception aux fulgurances minérales, le Hoggar algérien exerce un magnétisme intemporel : les grimpeurs y parcourent des lignes devenues mythiques depuis Frison-Roche, les spirituels y méditent depuis le père de Foucauld, et les bergers touareg y perpétuent un mode de vie nomade depuis toujours. Une autre approche du grand désert, un voyage dans l’altérité absolue, entre action et contemplation.
Le guide grenoblois Philipe Brass dans la deuxième longueur de « Nomade »,
en face ouest du dôme de l’Eléphant, à Tesnou (D+ 250 m, 5 longueurs, AD+, 5b)
Pipeline et dissuasion
Qu’il est long, le chemin qui mène au paradis ! Les heures s’égrènent, le long de cet impeccable ruban noir reliant le Sahara à l’Algérie moderne. La bande asphaltée toute neuve file droit vers le nord, indifférente à la chorégraphie des acacias tordus et des empilements de caillasses à géométrie variable. Mais c’est un spectacle plus insolite encore qui attire notre attention, un chantier titanesque : des norias de grues en train de creuser des tranchées infinies, d’autres enfouissant des tuyaux géants, sous la houlette d’ingénieurs et de contremaîtres chinois.
La route de l’eau : un pipeline cyclopéen, qui achemine l’eau potable forée dans le sous-sol d’In Salah, 650 kilomètres plus au nord ! Pour, littéralement, sauver de la soif la cité de Tamanrasset, naguère paisible bourgade-frontière, devenue en une décennie la métropole du grand Sud algérien, avec plus de deux cents mille habitants.
Plus loin, devant la silhouette anodine du djebel In Eker, comment oublier qu’ici eut lieu l’accident nucléaire survenu le 1er mai 1962, lors des essais souterrains visant à tester la force de dissuasion nucléaire française, quelques semaines après les accords d’Évian mettant fin à la guerre d’Algérie ? Un sinistre cadeau d’adieu…
Insolite monolithe de grès au sommet d’une dune, Tesnou.
Course de dromadaires, près de Tamanrasset.
Funambules sur l’Éléphant
Sur une surface plus grande que la France correspondant à la wilaya (municipalité) de Tamanrasset, le Hoggar développe un paysage lunaire d’une beauté stupéfiante, au fil du plus vaste ensemble de massifs cristallins du Sahara, alternant plateaux détritiques de grès (tassilis), inselbergs de granite et sombres reliefs volcaniques, parfois hérissés de dykes résiduels.
On trouve les plus beaux spots de grimpe dans les massifs de Tefedest, Tissalatine et Tesnou (granite), Atakor (basalte) et Tassilis (grès). Le soleil commence juste à basculer sous le zénith, lorsque notre petite équipe atteint le pied du dôme de l’Éléphant, une monumentale bulle de granit crevant la surface du désert. C’est la perle géologique du Tesnou, un secteur isolé à 200 km environ au nord de Tam, devenu l’un des lieux d’escalade incontournable du Hoggar.
Une collection d’inselbergs coiffant des cônes d’éboulis, entre zones d’effondrement et glacis volcaniques. Splendide ! Les gravir tourne à l’expérience sensorielle. Courbes, rondeurs, grattons sur écailles, une envolée de dalles lisses et brillantes, offrant quelques pures lignes d’escalade. Deux cents mètres de verticalité concave, cinq à six longueurs de rêve, avec des difficultés homogènes, jamais extrêmes. Enchaînement de gestes simples, pieds et mains au millimètre, apesanteur des corps ; un monolithe pour grimpeur esthète !
Arrivée sur le dôme de l’Éléphant, 1165 m, dans le Tesnou.
Pendant l’ascension par la voie normale, en terrain d’aventure.
Oudane, en hommage à Frison-Roche
Cap à l’est ensuite, pour rejoindre, au terme d’une traversée aux airs de grand large, le massif de la Tefedest. À sa proue septentrionale, un sommet de légende en vigie sur l’immensité ocre et crue. Ce vaisseau de pierre peut prendre un visage tourmenté ou placide, selon l’angle sous lequel on l’observe : c’est Oudane, la cime tutélaire des Touareg, alias Garet el Djenoun en arabe, la montagne des génies.
Les sacs sont vite bouclés : duvet et matelas mousse, vivres de course, cordes, baudrier et près de cinq litres d’eau chacun ! Chargés comme des mulets, l’interminable remontée du Wadi Ariaret, improbable chaos de blocs en forme d’entonnoir, ressemble au mieux à un rite de passage, au pire à un purgatoire.
Bivouac dans les environs de l’oued Aglil.
Sous l’échancrure du col est, veillé par une nuée d’étoiles, le bivouac se révèle à la fois spartiate et royal. Le premier soleil nous réchauffe dans la voie normale dite « du mouflon et du président réunis », un itinéraire aérien et complexe, mais essentiellement « à vache », c’est-à-dire plus randonnée qu’escalade, mise à part la cheminée de l’attaque. Fouler l’apex de ce haut lieu reste pour beaucoup un aboutissement.
De tous côtés, au plus loin que porte le regard, s’étire un paysage parmi les plus lunaires de la terre. Une plaque vissée sur le plateau sommital rend hommage aux pionniers, Roger Frison-Roche et le capitaine Coche, qui se hissèrent ici le 15 avril 1935, au cours d’une ascension acrobatique qui les vit presque mourir de soif. Une belle première, couronnant cinq jours de dromadaire, depuis la piste transsaharienne. Un autre monde…
Étrave de pierre de la Garet el Djenoun, l’Oudane sacrée des Touareg.
Jeu de piste dans la Tefedest
Les campements nomades se font de plus en plus rares, aujourd’hui, dans la Tefedest. C’est la conséquence de plusieurs facteurs : politique de sédentarisation du gouvernement qui a subventionné la construction de plusieurs villages pour les clans de bergers itinérants (Irhafok, Ideles, Mertoutek), raréfaction des pluies, baisse de la nappe phréatique, évolution des mentalités liée au développement de l’Algérie…
Une douzaine de familles élargies, tout au plus, sillonne encore l’immense secteur de la Tefedest, situé entre une et deux grosses journées de 4x4 au nord de Tamanrasset. L’obsession des nomades : trouver de nouveaux pâturages pour nourrir chèvres et chamelles qui produiront le fromage séché et les peaux, qui continuent de former l’essentiel de leurs revenus.
Sommet de l’Oudane, 2375 m, point culminant de la Tefedest.
Mohamed, mon chauffeur-guide au port de tête régalien, a embarqué un nomade taciturne et expert dans le rituel du thé, Tayeb. Ce dernier retourne dans sa famille située dans la Tefedest noire, à l’est des massifs granitiques. Une rare occasion de côtoyer ces ascètes du pastoralisme, dont le nombre infime dans ces espaces majuscules, allié à leur discrétion naturelle, rend la rencontre des plus aléatoires.
Même avec Tayeb, trouver leur campement relève du jeu de piste. Enfin, trois petites cabanes de toiles et de piquets où pendent baluchons, peaux et couvertures annoncent, dans un concert d’aboiements, l’arrivée dans le clan Ajaj, en plein no man’s land. Accueil digne et sobre du patriarche Sidha, dont je n’apercevrai que les longues mains calleuses et deux fentes sévères entre les plis du chèche.
Campement nomade du clan Ajaj dans la Tefedest noire.
Avec les derniers nomades
Le campement domine un oued piqueté de maigres arbustes épineux et de touffes d’herbe à chameaux, qu’on appelle ici « pâturage ». Une brigade de femmes, garçonnets et fillettes s’occupe du troupeau : une quarantaine de chèvres, quelques moutons, une poignée d’ânes pour le transport.
Les journées au camp se ressemblent : traite au lever du soleil, corvée d’eau au puits, ramassage du bois mort pour le feu, un peu de tissage parfois. Au bout de quelques moments passés en leur compagnie, les regards se relèvent, les rires recommencent à fuser. Trois ou quatre mots de français, d’arabe et de tamachek sont échangés.
On partage silencieusement la taguela, une galette de farine cuite sous la cendre, coupée en morceaux dans la soupe de légumes, ou chorba. Les heures s’étirent mollement, entre vague à l’âme et vague ennui. Un vent de sable emporte les pensées. Les ennemis : le soleil, le chacal et surtout le guépard, qui a fait son retour dans le Sahara algérien, depuis une dizaine d’années.
Deux jeunes se relaient chaque jour pour veiller sur le cheptel, au fil de longues errances quotidiennes. La survie des bêtes, et donc des hommes, se réduit à quelques pousses racornies ici et là, des bribes de végétation qui, mises bout à bout, rendent possibles ce mode de vie poignant, quasi surréaliste, qui force le respect.
Campement nomade dans le massif de l’Atakor.
Le marabout blanc
Il ne faut à notre Toyota 4x4 que deux jours de croisière des sables, égayée parfois par le sprint d’une gazelle ou la contemplation d’une fresque rupestre sous un auvent de roche, pour rallier le cœur du massif volcanique de l’Atakor. C’est là qu’en 1905, le père de Foucauld y établit son ermitage.
Charles-Eugène de Foucauld de Ponbriand, béatifié par Benoît XVI en 2005, eut une vie contrastée. Cet aristocrate, descendant de croisés, riche et rentier à 19 ans, devient militaire de carrière (Saint-Cyr – promotion de Philippe Pétain – puis Saumur), se bat d’abord dans la France coloniale, tout en menant grand train, au point qu’on le sunomme : « le lettré fêtard ». Rayé des cadres à 23 ans pour indiscipline, il explore le Maroc en 1883-1884 (médaille d’or de la société de géographie de Paris).
Le plateau de l’Assekrem à 2 780 mètres d’altitude, au cœur du massif de l’Atakor.
Bouleversé par l’islam, une série de rencontres le font revenir vers la foi chrétienne, à 28 ans. D’abord trappiste, missionnaire en Syrie puis ermite en Palestine, il ne s’installe en Algérie qu’en 1901, à Beni Abbès, puis au fil de la colonisation, dans le grand Sud à Tamanrasset (1905).
Son aptitude pour les langues, son attrait pour les nomades et son amitié avec Moussa Ag Amastane, amenokal (prince) de la tribu des Ahaggar, lui permettent de construire en 1911 une cabane de pierres au sommet de l’Assekrem, où il pourra séjourner au frais en été. Son grand œuvre, le dictionnaire français-tamachek, fait encore autorité aujourd’hui. Le « marabout blanc » sera assassiné en 1916 lors d’une rébellion sénoussiste.
Pendant l’ascension des aiguilles basaltiques, voies de
difficulté moyenne à très difficile.
Grimpeurs et méditants
Sa cabane historique forme un minuscule édicule de pierre à 2 780 m d’altitude, une simple boursouflure au bord du plateau de l’Assekrem, qui signifie : « Regarde et arrête-toi », en tamachek. Plusieurs religieux catholiques de la congrégation des Petits Frères de Jésus y partagent une vie de simplicité et de prière, face à la forêt de pitons volcaniques appelés Tezouyag, parfois tapissés de tuyaux d’orgues basaltiques. Un panorama grandiose et austère qui a fait la renommée du site, avec son aura de sacralité.
Curieux contraste entre cette montagne tabulaire où sont reclus une poignée de méditants et, en vis-à-vis, les aiguilles devenues un terrain d’escalade mythique pour les grimpeurs du monde entier. Ce lieu qui a vocation à la solitude est paradoxalement devenu l’un des sites les plus visités du Sahara. Cette triangulaire insolite : moines-grimpeurs-touristes, rappelle les monastères perchés des Météores, en Grèce continentale, ou encore le plateau sacré de Tapovan, près des sources du Gange au Garhwal (Inde).
Après le fameux lever derrière les Tezouyags, on peut assister à la messe dans la minuscule chapelle, assis par terre, sous la conduite de frère Édouard, l’ancien, la mémoire des lieux. Regard broussailleux et barbe chenue, ce dernier possède un tempérament aussi rocailleux que son environnement.
Sa visite guidée de l’ermitage est émaillée de commentaires souvent érudits, parfois acerbes. Ma demande d’interview sera balayée de la formule lapidaire : « On n’aime pas trop les journalistes, ici ». S’ensuit un long, très long silence, puis il tourne les talons et disparaît. Autre moment de solitude…
Lever de soleil sur les Tezouyags, orgues basaltiques
culminant à 2 700m, face à l’ermitage.
Au sommet des Tezouyags.
Frère Édouard pendant la messe de l’aube, chapelle de l’Assekrem.
Partir en Algérie avec Tamera ?
Basée dans le vieux Lyon, Tamera est le spécialiste des voyages et treks dans le grand Sud algérien, un désert de type tassilien d’où émergent de grandes dunes majestueuses qui forment une palette de couleurs inouïes, du jaune au rouge. Nous explorons en particulier le Hoggar ou les tassilis n'Adjer et parcourons ces espaces vierges avec nos amis touareg en randonnée, avec une logistique chamelière ou en 4x4. Nos experts vous aideront à identifier les voyages qui correspondent le mieux à vos envies.