Régulièrement, nous publions quelques courtes histoires ou anecdotes vécues par nos participants ou des voyageurs illustres. Nous rentrons dans l’esprit d’une rencontre ou d’un lieu. Dans ces mémoires du chemin, Pierre Martin et un groupe de Tamera nous content leur exceptionnelle aventure au Mustang qu’ils ont réalisée en octobre dernier. Après avoir emprunté des chemins de traverse, ils ont pu entrer dans des sanctuaires gardés secrets tel que Konchok Ling et surtout Chuchu Gompa. Nous repartons de nouveau sur cette Haute Route du Mustang cette année avec cette fois Laurent Boiveau aux commandes !! Un itinéraire inspiré des topos de Paulo Grobel, avec qui nous partons pour le Dolpo en novembre prochain.
Konchok Ling
Dans le village de Bharcha, nous nous dirigeons vers la première maison pour louer les services du guide (ou plutôt de la guide…) qui nous conduira jusqu’au Nirvana, cette fameuse grotte de Kongchok Ling découverte par un berger en 2007 et qui recèle un trésor exceptionnel, à savoir des peintures murales bouddhistes datant du XIIe siècle.
De Bharcha, nous remontons la large vallée fluviale, vallée contenue entre deux murailles ourlées de pénitents multicolores. Ca commence bien ! Nous passons un gros chorten puis nous inclinons la marche sur la droite pour emprunter un excellent sentier en zigzag qui gravit le coteau au milieu d’un délire géologique de toute beauté. Nous débouchons sur un tertre pour un panorama surplombant toute la région et entre autres sur la gauche les forts de Kimbu. Au-delà, nous descendons jusqu’à la porte cachée derrière une « canine » rocheuse. La « gardienne des clefs » nous ouvre le passage.
Derrière le col : la gompa
Nous poursuivons en descente sur un sentier un peu moins large et viabilisé à flanc de falaise. Enfin la délivrance (croyons-nous…) avec l’arrivée dans un col au niveau d’une vieille gompa défraîchie. Nous passons quelques bâtiments en ruine avant de marcher réellement entre ciel et terre sur le fil d’une arête étroite avec le vide de chaque côté. Prudence est mère de sûreté, dit-on ! Bistare, bistare… Une fois cet écueil franchi (en gros une centaine de mètres), descente jusqu’à une plateforme, terminus du chemin. Mais pas de caverne ornée à l’horizon… « Juste » un superbe belvédère sur un ensemble de pénitents de belle ampleur qui entoure le lit d’une rivière qui coule 200m plus bas. Mais où donc se cache-t-elle cette caverne ? Ne serait-ce pas derrière ce couloir abrupt « sécurisé » par une corde de 15 mètres faite d’un savant assemblage de fil électrique et de peau de chèvre ? Si, si… Nous laissons notre sac à dos, nous retournons face à la terre et nous engageons sur cette pente dans laquelle ont été taillées quelques marches qui nous aident à progresser vers le bas, le vide étant bien présent. Nous arrivons en bout de main courante sur une trace à flanc bien étroite pour un parcours de quelques 200m en courbe de niveau jusqu’à arriver une dizaine de mètres en-dessous de la fameuse grotte.
Le saint des saints
Enfin, nous sommes bien arrivés dans le saint des saints ! Les peintures sont défraîchies certes, mais l’ambiance qui se dégage des lieux est à nulle autre pareille, recueillie, silencieuse, et nous fait prendre conscience du caractère exceptionel de ce que nous sommes en train de vivre. Et tout autour de nous, ce paysage chamarré de pitons gréseux qui rappellent encore une fois les tsingys de Madagascar… Il nous faut s’arracher de cet endroit pour retourner dans la vallée : Nous nous en allons à regrets pour refaire en sens inverse le chemin parcouru, tout d’abord le sentier à flanc, puis la remontée du goulet à l’aide la corde (c’est quand même plus aisé dans ce sens-là…), le parcours sur le fil de l’arête toujours avec le vide de part et d’autre jusqu’au col à la gompa et puis la descente dans l’étroit thalweg au pied de la « canine » avant de retrouver la porte d’entrée que la guide refermera jusqu’à la prochaine visite… Il ne restera plus qu’à suivre le large sentier jusqu’au lit de la rivière que nous descendons jusqu’à Bharcha. Quelle épopée nous avons vécue ! Que de souvenirs resteront dans notre tête après cette « balade » incroyable, sûrement la plus belle du Mustang.
Chuchu gompa
Depuis Lo Manthang, nous suivons les gorges de la Mustang khola avant de pénétrer dans celles de la Yakchu khola. Ces dernières recèlent de somptueux trésors : des dizaines de sources ferrugineuses qui ont patiemment à travers les millénaires construit des sculptures irisées. Le rouge certes mais aussi de l'ocre, du jaune pâle, du blanc étincelant sous les premiers rayons du soleil qui ont pourtant du mal à descendre jusqu'au lit de la rivière tant les parois qui bordent le canyon sont rapprochées. Au confluent de rivières suivant, nous entrons dans les gorges de la bien nommée Chuchu gompa khola qui va nous conduire, humidement il va sans dire, vu son nom jusqu'à la gompa... mais encore faut-il la débusquer ! Nous sortons de la gorge pour monter en zigzags sur une excellente trace jusqu’à un ensemble de blocs rocheux effondrés puis nous nous élèvons sur la droite afin d’atteindre une zone d’alpages à l’herbe maigre. A partir de là, nous suivons un sentier quasi étale à belle hauteur du fond de la gorge. A l’approche du collet aux chortens, nous laissons partir vers le haut l’excellent sentier qui remonte en zigzags le coteau à main gauche qui traversant la base du plateau de Thakla permet de rejoindre aisément la vallée de Samdzong. Après avoir traversé un petit thalweg, nous arrivons au niveau des chortens pour une vue plongeante sur la large vallée autrefois agraire de la Chuchu gompa khola. Sur la droite, nous identifions parfaitement le bâtiment de couleur rouge brique perché sur le bord des falaises qui surplombent les ruines du village. Nous descendons dans la vallée par un petit sentier en zigzag et en passant près de nouveaux chortens et d’un mur de manis, tout en longeant la base des falaises, nous arrivons au milieu des ruines du village. Visite du site de la gompa en empruntant un petit sentier dans le premier canyon rencontré après les habitations troglodytes.
La vallée désertée
La gompa principale est toujours fermée. Il est toutefois possible maintenant de contacter, lorsque nous sommes à Lo Manthang, Tsewang Bista pour qu'il puisse envoyer sur place le « gardien des clefs ». Au printemps 2016 des travaux de rénovation de l'intérieur du site ont été réalisés par les habitants de Lo Manthang et des statues monumentales convoyées à dos d'homme depuis Lo ont pris place dans les vitrines de l'autel réalisé pour l'occasion. C'est vraiment le « truc » à ne pas rater dans le coin ! Sinon nous pouvons nous consoler, 25 m au-dessus de la gompa aux portes closes, avec la visite de l’ancienne gompa troglodyte très accueillante (si elle n'est pas occupée par un ermite en retraite...) dans laquelle nous pouvons prendre le temps d’apprécier le silence et le temps qui passe…. Autrefois, il n’y a peut-être pas si longtemps que ça, la vallée était habitée l’été par les villageois de Yara et Ghara qui se déplaçaient de leurs villages moins bien lotis en espaces cultivables. Cela devait être une véritable procession qui traversait les plateaux alentours et remontait la gorge pour converger vers cet emplacement large et ensoleillé. L’importance des ruines du village atteste bien de la grosse activité agraire du site confortée, quand nous le contemplons du haut de la gompa, par la grandeur des champs maintenant laissés à l’abandon et qui occupent les banquettes alluviales. Un endroit vraiment secret et magique au Mustang, à découvrir absolument !
Et pour finir en beauté le parcours du « chaînon manquant »
Le Mustang, cela fait 7 ans que je le parcours de long en large et en travers. Si bien que je dois à présent en connaître la quasi totalité des chemins. Mais il me restait quand même, avant cet opus, une part d'inconnu, à savoir la bordure orientale : franchir la Kalo dara sur les traces de Paulo Grobel me titillait depuis un moment : au printemps 2015 j'étais venu buter à ses pieds au niveau du Chinese pass lors du trek Mustang hors des sentiers battus bien compromis par des chutes de neige tardive. Les mules qui m'accompagnaient n'aiment vraiment pas marcher dans la neige... A cette époque, ne pas avoir pu franchir la Kalo dara impliquait forcément que je n'irais pas décrypter les possibilités d'itinéraire du « chaînon manquant » entre Damodar et Gayu kharka.
Le voyage d’octobre 2016 avec Tamera allait me permettre de « combler ce manque » :
C'est un itinéraire hors des sentiers battus (et même un peu plus...). Deux jours d'immersion dans le wilderness comme disent nos amis anglo-saxons ! A « jouer » à saute thalwegs, à monter et descendre sur des pentes d'éboulis plus ou moins stables, à rechercher les passages qui permettent (quand même...) d'avancer en toute sécurité. Et à la clef, la découverte d'un espace oublié du Mustang, Gayu kharka, en suivant le tracé de la Dechyang khola, la mère nourricière du Mustang puisque considérée comme la rivière sacrée de la région (il a été identifié que ce cours d'eau qui prend sa source au pied des glaciers du Damodar himal est celui qui devient du côté de Tsarang la fameuse Kali Gandaki, cette dernière, après un long périple qui traverse le Népal du nord au sud, se jette dans le Gange). Pourquoi ce vocable de « chaînon manquant » (marque déposée de Paulo Grobel, encore lui...) ? Parce qu'il a imaginé qu'il serait possible de réhabiliter cet ancien itinéraire de transhumance des bergers de Dhey, aujourd'hui bien mis à mal par les incessants mouvements du terrain que l'on parle d'éboulements, de séismes, d'érosion par les pluies, la neige ou le vent... Le « chaînon manquant » est vu comme une possibilité d'alternative au chemin des pèlerins des lacs du Damodar depuis Yara et la possibilité de construire des circuits en boucle pour explorer ce massif glaciaire si peu connu, un aller depuis Yara, quelques jours à explorer les plateaux de l'est du Mustang, l'ascension d'un sommet peut-être ? et le retour par ce « chaînon manquant ». Nous avons peut-être aidé, qui sait, à définir les bases d'un futur itinéraire de trek dans la partie méconnue du Mustang.
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