MÉMOIRES DU CHEMIN | Régulièrement, nous publions quelques courtes histoires ou anecdotes vécues par nos participants ou des voyageurs illustres. Nous rentrons dans l’esprit d’une rencontre ou d’un lieu. Il y a 25 ans, David Ducoin, passionné d'Himalaya et chef de secteur chez Tamera, traversait le Zanskar en hiver pour la première fois avec son père. L’hiver dernier, ils y retournaient ensemble. Cet article retrace une partie de leur aventure.
Mon père me dit un soir d'été : « David, mon fils, je voudrais retourner au Zanskar en hiver avec toi. Nous avions fait ce voyage il y a 25 ans en empruntant la rivière gelée. J’avais à l’époque ton âge et j’ai maintenant 70 ans. Je voudrais revoir tous ces gens qui m’ont touché au plus haut point et emprunter à nouveau ce chemin de glace pour nous rendre dans les villages de cette vallée himalayenne isolée ».
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Nous avons connu le Zanskar il y a 30 ans en famille. J’avais alors 16 ans. Nous y sommes retournés, mon père (Jacques) et moi, il y a 25 ans pour effectuer le trek de la rivière gelée et atteindre les villages reculés où se trouvent nos amis. Ce voyage fut l’un des plus marquants de notre vie et nous aida par la suite à affronter des moments difficiles de nos chemins de vie. Aussi, tout comme la première fois, il y a un quart de siècle, je n’eus pas beaucoup d’hésitation. Je suis resté au gré des ans en contact avec Tashi notre ami et sa famille. Les bébés, que nous avons vu téter le sein de leur mère, ont aujourd’hui plus de 25 ans et chacun a fait son chemin. Certains ont déjà des enfants.
Le chemin de glace
Un matin de janvier 2019, nous nous retrouvons ainsi, Tashi et ses 2 fils (Dawa le menuisier et Lundup le chauffeur) à arpenter à nouveau cette fameuse rivière gelée. Cette fois-ci, plus de nuits dans les grottes, ni de tsampa (farine d’orge grillé) à tous les repas. Lundup nous a organisé un voyage de « luxe » avec nuits sous tente et un cuisinier hors-pair. Malgré cela, les conditions restent difficiles pour nous. Sans l’aide précieuse de nos amis, jamais nous ne pourrions parcourir ce chemin. À plusieurs reprises nous mettons les pieds dans l’eau gelée, car la glace sur laquelle nous marchons n’est pas assez solide. Nous escaladons aussi de nombreuses montagnes. Nous affrontons des températures allant en dessous de – 25 °C et parfois nos amis dorment dehors ou dans des abris de fortune, s’ils ne trouvent pas de grottes. Lorsque leurs pulkas, chargées de tout le matériel, ne peuvent plus glisser sur la glace et qu’il faut escalader, ils se retrouvent alors avec 30 à 50 kg à porter sur le dos sur des chemins scabreux et, toujours, ils ont encore la force de nous aider. Dans ce milieu montagnard rude et glacé, ils sont agiles et endurants. Nous sommes maladroits et à la limite de nos forces. Assurément, nous ne sommes pas du même monde. Et pourtant, l’amitié qui nous lie nous pousse à revenir toujours, sans jamais imaginer ne plus pouvoir les revoir. Tashi est devenu Mémé Tashi (Grand-Père) et est traité de la sorte, avec un immense respect, par ses fils. Lundup a pris le rôle de fils aîné et prend toutes les décisions en dirigeant son équipe avec un sourire et un regard malicieux. Il a les mêmes mimiques que lorsque, du haut de ses 5 ans, il remontait un jerrican d’eau de 20 litres sur le dos, ou tirait un yack par la longe pour le ramener à l’étable.
Arrivée dans les villages
L’arrivée au village de Pishu après plusieurs jours de marche dans le froid est toujours un soulagement. Sonam Angmo, la femme de Tashi, guettait notre arrivée depuis l’aube. Afin d’encenser et bénir la cour comme il se doit, elle a fait brûler du genévrier. Maintenant, elle nous sert du chang (bière d’orge) à la louche, comme le veut la tradition. Un des souvenirs les plus marquants que nous avions gardé en mémoire, concerne la nonnerie du village. Un peu à l’écart et en hauteur, 13 religieuses y vivaient isolées, sans eau courante ni électricité. Pour cuisiner, elles allaient casser la glace à la rivière, 500 mètres plus bas. Cette réserve de glace constituait leur apport en eau pour quelques jours. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 6, dont 3 sont en déplacement. Certaines sont mortes, très jeunes. Dans cette vallée, isolée l’hiver et sans grande infrastructure médicale, la moindre maladie qui s’aggrave peut rapidement être fatale. De plus, les conditions dans lesquelles sont donnés les enseignements n’encouragent guère les nouvelles recrues. Les jeunes filles qui ont la vocation préfèrent les monastères du sud de l’Inde ou Dharamsala (lieu du gouvernement tibétain en exil), car les enseignements y sont de qualité et le cadre de vie bien meilleur.
Pendant quelques jours nous allons de village en village, de maison en maison, afin de voir les personnes avec qui nous avions fait un bout de chemin il y a 25 ou 30 ans. Que de surprises, d’histoires, de rires et de larmes. Thé salé au beurre de yack, thé sucré, chang (bière d’orge), arak (orge distillé), rhum, et pour éponger le tout, les momos (raviolis tibétains) à la farine d’orge. Nous sortons les vieilles photos, les livres que nous avions faits et que nos amis ont conservés, et nous montrons sur nos smartphones les photos de nos enfants et compagnes restés en France. Malgré la présence de route en été et d’un peu d’électricité pour s’éclairer le soir, les conditions de vie en hiver restent très rudes. Pas de bois pour se chauffer, seul du crottin séché pour cuisiner sur un petit poêle. Dans les maisons, il n’est pas rare d’avoir du gel sur les murs de la pièce principale. Pas d’eau courante, il faut aller à la rivière et, souvent, casser la glace tous les jours. Il y a 25 ans, nous nous posions des questions sur les changements et l’arrivée du monde moderne. Nous constatons aujourd’hui que malgré le changement de vie et de conditions, ils restent comme nous les avons connus. Leur joie de vivre, leur sagesse innée, leur sourire et leur bonne humeur sont contagieux.
De retour en France
Dans ma maison entièrement chauffée, j’allume les lumières, je fais couler l’eau chaude du robinet et je pense à mes amis au Zanskar. Dans notre monde d’abondance, je m’efforcerai de ne pas oublier que mes amis du Zanskar n’ont presque rien, sauf leur bonne humeur et leur joie de vivre. Tous mes petits soucis d’avant le départ n’ont plus, maintenant, la même dimension.
Nos deux prochains départs confirmés sur la Chadar, la rivière gelée:
- Hivernale au Zanskar, du Jumlam à la rivière gelée avec la fête de Spituk, voyage accompagné par François Pillon, du 20 janvier au 9 février 2020 ;
- Notre grand classique Chadar, le trek sur la rivière gelée du 20 janvier au 9 février 2020.
Et retrouvez un extrait de 3 min de "Rigdol, le facteur de l'Himalaya" le film que Samuel et David Ducoin ont réalisé il y a 25 ans.