En mars 2008, Maud et Barbara – responsable du secteur Pamir, Pakistan et Kirghizistan chez Tamera – se lancent sur une traversée de l’Himalaya à la rencontre des femmes de ces hautes terres. Pendant un an, seules et en autonomie, elles relateront leurs aventures sur leur blog « Parler d’Elles », puis, au retour, à travers des conférences dans différents festivals et le livre « Himalaya, regard de femmes », dans lequel elles présentent 15 portraits de femmes parmi les multiples aventures partagées avec les femmes et les hommes rencontrés au Kirghizistan, en Chine (Xinjiang et Kham), au Pakistan,en Inde (Ladakh-Zanskar et Sikkim) et au Népal.
Pour ce quatrième et dernier volet, c'est au Pakistan que Barbabra nous emmène. Nous allons à la rencontre des Kalash, une communauté vivant dans les recoins oubliés des hautes vallées de l'Hindou Kouch au Pakistan, à l'ouest de Chitral.
Retrouvez ici tous les treks au Pakistan.
#4 Pakistan
Petit retour dans le temps pour ces portraits de femmes lors de la traversée du Pakistan, du Kunjerab pass à Lahore, qui se déroula avant notre entrée en Inde, la découverte du « petit Tibet » et des nonnes de Lingshed. Un choc face à la réalité des violences locales dans ce pays si accueillant, puis, notre rencontre avec le peuple kalash.
Un temps dans les petites vallées au pied des montagnes qui séparent ce peuple animiste et païen de l’Afghanistan, auprès de Gulshaheen, ses frères et soeurs, « baya » et « baba », vivant joyeusement malgré les difficultés, qui aujourd’hui sont étroitements liées à l’évolution naturelle d’une mondialisation qui remet en cause la question de l’identité, de l’espace et du temps. Je ne le savais pas encore mais ces moments, ce lieu, que je trouvais à l’époque digne du jardin d’Eden, allaient durablement changer le cours de ma vie…
Les princesses du royaume kalash
« Jamais je ne troquerai ma s'us'utr contre le voile »
© Barbara Delière et Maud Ramen
« Mon rêve serait que les femmes puissent s'instruire et revenir plus fortes dans la vallée »
Les hommes et les femmes de ce petit peuple du nord du Pakistan se battent avec force et détermination pour préserver leurs coutumes et traditions ancestrales, menacées de disparition, face aux mollahs qui les entourent. Leurs peau et yeux clairs, ainsi que leurs coutumes et festivités, similaires aux légendes des divinités grecques, ont fait naître le mythe que les Kalash seraient les descendants de l'armée d'Alexandre le Grand. Ils sont en fait les enfants de la grande migration aryenne qui quitta l'Europe septentrionale il y a 3000 ans avant JC, pour s'établir dans ce qui est à présent, la région indo-pakistanaise.
Ce peuple, que l'on surnomme « les derniers infidèles du Pakistan », vit en marge du dictat islamique local. Polythéiste, c'est le dernier à vivre avec ses propres règles culturelles, sociales et religieuses dans le pays. À ce jour, on compte environs 3 500 Kalash qui vivent dans la région de l'Hindou Koush, à seulement 80 kilomètres de l'Afghanistan, isolés dans trois petites vallées : Birir, Rumbur et Bumburet.
Gulshaheen, est l'une des rares femmes à avoir étudié à Islamabad. Aujourd'hui professeur d'anglais dans l'ONG grecque qui a pris place au village de Brun, dans la vallée de Bumburet, elle nous dévoile ses projets : « Mon rêve serait que les femmes puissent s'instruire et revenir plus fortes dans la vallée pour renforcer les écoles kalash et les hôpitaux. » Elle nous autorise avec complicité, à nous immerger un peu plus dans son quotidien et comprendre un peu mieux les aspirations de ces femmes, dont la beauté ne laisse pas indifférent.
À 23 ans, pas facile de reprendre les coutumes vieilles de 3000 ans lorsqu'on a goûté au confort de la capitale. Et pourtant, aucun doute pour elle : « Je suis partie étudier, car il y a un énorme besoin d'éduquer les enfants et les femmes ici, mais je savais que je reviendrais, car cette vallée est unique et je souhaite qu'elle le reste ».
Les Kalash l'ont bien compris, la préservation de leurs traditions commence par l'instruction, car la majorité ne sait ni lire ni écrire. Ainsi, à l'arrivée de l'association des volontaires grecs il y a 10 ans, ce n'est pas un hôpital qui a été construit, mais une école. C'est au sein même du centre culturel, le Kalasha Dur, construit par cette ONG, que l'enseignement est donné gratuitement aux petits enfants kalash. Le centre fait aussi office de musée, ce qui permet de conserver le patrimoine qui commençait à être dilapidé et vendu pour des sommes dérisoires.
Une culture, sans langue et sans terre est vouée à disparaître
Joyeux, insouciants et libres, les Kalash ne semblent pas se préoccuper du lendemain. Certains, pourtant, sont conscients que leur situation religieuse, leur manque d'éducation dû à un isolement géographique et politique, en font une cible facile. Certains abusent de leur crédulité en rachetant les terres à un prix dérisoire, d'autres convertissent à l'islam jeunes filles ou garçons qui ne voient pas d'avenir dans leur culture si particulière. Face à cette vérité, aujourd'hui, beaucoup s'en rendent compte : une culture, sans langue et sans terre est vouée à disparaître.
Le kalasha, dialecte local, est une langue parlée et non écrite. Les histoires ont su traverser les siècles selon la tradition orale pour alimenter l'imaginaire et faire vivre leur culture. Les aînés, très respectés et véritables mémoires vivantes, sont aujourd'hui sollicités notamment par Taj Khan Kalash, qui, avec l'aide d'une organisation américaine et de l'ONG grecque de Bumburet, a enfin pu imprimer et donner aux écoles des trois vallées « The Alphabet Book » ; c'est le premier livre dédié à l'apprentissage de leur langue.
Taj Khan n'est pas seul dans cette démarche. Subhan, Zarin, Gulshaheen et d'autres jeunes qui ont été désignés pour aller étudier en ville, reviennent avec un capital supplémentaire et s'investissent tout autant.
Si la terre revient aux fils, la beauté de leur culture et le respect des traditions reposent sur ces femmes obstinées
Et c'est aussi de l'intérieur que la résistance s'opère. Khaled du village de Krakal à l'origine du dictionnaire kalash en 1983, confie volontiers son inquiétude. Alors que nous interrogeons ses filles, nous voyons tout d'abord la détermination avec laquelle elles tiennent leurs rôles de porte-paroles : « Jamais je ne troquerais ma s'us'utr (prononcée « chouchoute ») contre le voile » nous explique Shirine. D'un autre côté, leur regard souvent tourné vers leur père, nous saisissons également la pression que leur situation impose. Si la terre revient aux fils, la beauté de leur culture et le respect des traditions reposent sur ces femmes obstinées. La s'us'utr, cette coiffe traditionnelle ornée de perles et coquillages, offerte lors d'une cérémonie aux jeunes filles en signe de fertilité, est l'un des emblèmes que les femmes arborent à toutes occasions. Leur corps quant à lui, est revêtu d'une robe noire aux motifs colorés, propres à chaque clan, confectionnés ardemment par ces femmes qui en font de véritables œuvres d'art. Un amas de colliers en pierres de corail, aujourd'hui en plastique faute de moyens, est un bijou de plus qui complète leur beauté. Tout cela, ensemble, est bien lourd à porter. Elles le font volontiers pourtant et se plient également au rituel du « bachali », lieu réservé aux femmes qui doivent y séjourner pendant toute la durée de leurs menstruations. Si, pour certaines, c'est un moyen de se retrouver et de s'évader un peu des tâches quotidiennes, pour d'autres, comme Gulshaheen, c'est une contrainte dont elles se passeraient bien.
Ce peuple a vécu paisiblement en autarcie pendant des années, et aujourd'hui, aux tentations d'une nouvelle vie, se rajoutent les difficultés économiques, l'arrivée de réfugiés afghans et l'avancée des talibans. À côté de cela, malgré un monde qui avance et un tourisme de plus en plus présent qui pourrait leur nuire, les Kalash savent tirer profit de ce changement. Des hôtels ouvrent, des magasins aussi, et si en apparence leur propre culture s'efface, c'est qu'ils sont humbles et ouverts. Une illusion en effet, lorsque l'on voit avec quelle ferveur ils portent haut leurs rituels innombrables. Prières, sacrifices, chants, danses, même les fées s'immiscent dans les rêves.
Une fois que l'on a découvert ces lieux, il y a quelque chose de fascinant qui s'anime, c'est pourquoi, depuis des années, de nombreux ethnologues, photographes et passionnés reviennent ici.
Conserver les traditions et s'adapter à la modernité
Après avoir vécu plusieurs années dans la vallée, Maureen Leenes, médecin, est rapidement redevenue l'une d'entre eux. Actuellement dans son pays, aux États-Unis, Subhan Kalash, avec qui nous avions pris contact au préalable, est venu nous présenter l'association de Maureen, dans laquelle il est un membre actif.
L'objectif principal de « Indu Kush Conservation Association » créée en 1980, est de dispenser des formations pour que les Kalash aient leurs propres médecins. Le chamanisme, ainsi que les soins par les plantes sont toujours d'actualité, mais les cinq centres de soins créés dans la vallée ont permis de faire évoluer la santé au quotidien et d'augmenter la durée de vie.
Maureen est également à l'origine d'une autre ONG, « Kalash Environment and Protection Society », qui devrait bientôt travailler sur un nouveau projet de livres en langue kalasha et recenser, pour les écrire, toutes les traditions kalash (chansons, médecines, rituels, cuisines, broderies…).
En parallèle, la Fondation Aga Khan, présente dans tout le Pakistan, déverse beaucoup d'argent dans la vallée pour améliorer le quotidien des Kalash notamment, dans le secteur hydraulique et électrique.
Toutes ces personnes et ces organisations le savent, ce petit territoire est encore menacé. Face à leur culture et leurs croyances, étroitement liées à l'environnement naturel, les Kalash sauront-ils négocier ce virage, tirer profit du nouveau visage du monde qui se dessine ?
Le temps semble s'être arrêté dans la vallée pendant le festival de Joshi, qui célèbre le printemps. Nous nous éloignons de ce petit paradis perdu, avec de l'espoir. Les Kalash sont déterminés et courageux et, quand nous reviendrons, nous irons encore une fois danser et jeter en l'air les rameaux, pour remercier les dieux.
Baela Raza, Islamabad
« Les Pakistanais veulent que leurs filles soient éduquées.
C'est un travail difficile mais nous y croyons ! »
© Barbara Delière
« Notre mission est de valoriser l'éducation, la richesse de l'enseignement »
Baela Raza Jamil est une femme déterminée. Quand nous la rencontrons, elle sort juste d'une réunion et arrive directement de Lahore. Malgré cela, c'est avec une énorme énergie, des mots clairs et précis qu'elle nous explique la situation et le rôle de l'ONG créée en 2000, « Idara-e-Taleem-o-Aagahi ».
« Notre mission est de valoriser l'éducation, la richesse de l'enseignement, et au-delà de ça, surtout donner les moyens de réellement pouvoir apprendre, transmettre et se prendre en main. »
Elle est l'unique volontaire dans cet organisme soutenu par le gouvernement pakistanais. À ce jour, 90 % de leurs fonds proviennent de l'État. Initiative plus que prometteuse, en apparence seulement, car ce dernier très lent, semble peu motivé à réellement agir : « Les politiciens ne se soucient pas vraiment des besoins de la population et ils manquent de confiance en eux », nous confie-t-elle.
Au Pakistan, comme dans de nombreux pays où les conditions de vie sont difficiles, les gens naturellement actifs, s'organisent et savent ce dont ils ont besoin pour travailler ensemble : « Mais si le gouvernement ne met pas tous les moyens nécessaires, pourquoi la population s'y accrocherait [...] pourtant c'est un droit universel, il faut que les gens en prennent conscience. »
L'ITA mène ainsi des programmes de lobbying avec le gouvernement, avec lequel elle a aussi un rôle de conseiller majeur dans le système éducatif.
Dès l'école primaire, seulement 75 % des enfants sont inscrits et 50 % d'entre eux ne termineront pas l'année
L'enseignement a un rôle majeur dans les programmes, ainsi les femmes immigrées sont prises en charge par l'association, qui les aide à apprendre la langue locale pour pouvoir mieux s'insérer dans le pays. Sont pareillement proposés des cours d'instruction civique et des activités récréatives aux 12-16 ans, quelles que soient leur culture et religion, pour favoriser fraternité et compréhension malgré leurs différences.
Au Pakistan, plus de la moitié de la population a moins de 18 ans. Une population très jeune, et théoriquement, une source de richesse pour le pays. Conception qui s'effondre devant les faits. Dès l'école primaire, seulement 75 % des enfants sont inscrits et déjà 50 % d'entre eux ne termineront pas l'année. Pourquoi ? « Car les écoles sont loin et les enseignants ne sont pas assez nombreux ! ».
En effet, même si l'école publique est gratuite jusqu'à 18 ans (« class 10 »), la qualité de l'enseignement public reste très moyenne. Quand nous lui demandons s'il y a une différence entre les filles et les garçons inscrits, elle nous explique que le réel souci est l'insuffisance des infrastructures pour les filles. Et pourtant, « [...] la population pakistanaise veut que les filles soient éduquées », rajoute-t-elle. Mais dans les campagnes, les parents évitent de les laisser partir seules jusqu'à l’école pour des raisons de sécurité : « Alors elles restent à la maison et participent aux travaux domestiques. »
Pour calmer les tensions, certaines familles n'ont pas d’autre choix que de marier leurs filles de 12-14 ans
C'est pourquoi, au-delà des programmes et moyens qu'elle essaye de développer, Baela le sait bien, il faut surtout faire prendre conscience des droits et devoirs de chacun, en particulier envers les femmes qui ont une position bien particulière au Pakistan. Elle nous donne en exemple la découverte dans des régions tribales du pays, au sud Punjab et au Bolistan notamment, de coutumes qui autorisent de « vendre ses propres filles à ses ennemis ». Pour calmer les tensions, certaines familles, n'ont pas d’autre choix que de marier leurs filles de 12-14 ans à des hommes plus âgés, et certains bébés sont aussi « donnés » pour éviter des problèmes ingérables entre des familles.
Pratiques insoutenables et injustifiées, nous voyons, dans son regard et ses gestes, que Baela est prête à tout pour que ce phénomène de plus en plus important cesse, et qu'enfin, le droit et l'honneur de tout être humain soient reconnus et respectés.
Merci d'avoir suivi cette traversée de l'Himalaya en compagnie de Maud et Barbara.
Partir au Pakistan avec Tamera
Spécialiste du pays, l'agence Tamera basée dans le vieux Lyon propose une large gamme de treks au Pakistan, l'un des endroits les plus beaux et les plus sauvages de la planète. Nous partons dans des expéditions haute montagne au col de Shimshal (4 800 m) ou rejoignons le glacier du Baltoro par le col du Gondogoro jusqu’à Concordia (4 600 m). Nous explorons jusqu'aux camps de base de trois 8 000 : K2 (8 611 m), Gasherbrum I (8 068 m) et Broad Peak (8 047 m).
Retrouver les volets précédents :
- Femmes du monde #1 : Kirghizistan
- Femmes du monde #2 : Népal
- Femmes du monde #3 : Ladakh-Zanskar, Inde