28 mars 2019 - Himalaya et Inde, Afghanistan, Pakistan, Peuples et fêtes

Depuis les balcons et les terrasses des maisons de Brun,
les jeunes filles agitent des branches pour accueillir le cortège masculin. 

 

Chaque mois désormais, nous laissons à notre ami Franck Charton le soin de nous conter un de ses meilleurs moments de voyage. Pour cette deuxième chronique, Franck nous emmène dans l’Hindou Kouch (ou Hindu Kush) où, confinés à trois vallées-oasis, sur la frontière afghane, une poignée d’irréductibles kafirs, des « non musulmans », s’accrochent à leurs traditions païennes et à leur mode de vie pastoral issu de la nuit des temps nomades. En mai 2002, Franck y fit un séjour mémorable, au moment des fêtes de printemps, le Joshi. Il était alors invité par Jordi Magraner, un personnage singulier qui avait choisi de vivre parmi eux et de leur consacrer sa vie. Franck Charton est grand reporter et il sillonne le monde depuis une trentaine d'années, près de sept mois sur douze. Il en rapporte de magnifiques images et il les partage avec nous.

 

Les Kalash, ultimes représentants de l’Afghanistan polythéiste

La méchante piste tortillonne entre deux ravins abyssaux, se faufile dans un énième canyon, semble hésiter entre deux bifurcations, puis se hisse finalement dans la vallée de Bumburet :  cadre grandiose de hautes montagnes enneigées, damier satiné des champs cultivés entre les ruisseaux clairs, beaux arbres centenaires, rustiques maisons de bois et d’adobe… La plus grosse vallée kalash ressemble à un petit eden planté au cœur de la Haute-Asie. Mais si la vie semble douce en apparence, il n’en est rien, en raison des hivers longs et rigoureux, de la présence d’une géopolitique tendue avec l’Afghanistan voisin, et surtout de la pression inexorable du monde musulman sur la petite communauté animiste, la plus petite et vulnérable des minorités pakistanaises. Jordi est venu me chercher avec sa jeep vintage. Il habite une jolie petite ferme au-dessus de Krakal, l’un des hameaux de la vallée, à quelques encâblures du premier village nuristani. Ces derniers sont des réfugiés plus récents du Nuristan, province afghane d’où sont originaires les Kalash, appelé autrefois Kafiristan (littéralement, « pays des infidèles »). La grande majorité d’entre eux fut convertie de force à l’islam après la guerre de religion d'Abdur Rahman en 1896. Les Kalash sont donc les ultimes représentants de l’Afghanistan polythéiste.

 

Rencontre avec Jordi, chercheur de Barmanou

Ancien scientifique, venu étudier les reptiles dans ces vallées reculées, Jordi est un Franco-Catalan originaire de Valencia (Espagne), dont la famille s’est réfugiée à Valence au moment du franquisme. Il a très vite tourné son attention vers le barmanou, l’équivalent local du yéti, un hominidé relique bien connu de la cryptozoologie, dont les derniers spécimens vivraient dans le massif, comme l’attestent les innombrables témoignages de bergers isolés. Enfin, il a été conquis par la gentillesse et l’originalité culturelle des Kalash, au point de demander à faire partie des leurs : au moment de la fête hivernale de Chaumos, chaque membre de la communauté fait le choix, symbolique, de redevenir un homme (ou une femme) à part entière. Hâbleur, brillant, aventurier dans l’âme (sa chambre regorge de trophées qu’il part chasser à cheval, puis à pied, dans les montagnes afghanes avec son arbalète !), il est devenu en une dizaine d’années leur hérault, au point de fonder une ONG, de lever des fonds et de lancer un programme d’enseignement en kalasha, pour contrer le prosélytisme rampant du modèle socio-économique dominant et faire chuter le nombre de conversions à l’islam, religion d’État ici. 

 

Un peuple aux origines indo-aryennes

Pendant une semaine, nous allons de famille en famille, devisant près du feu assis sur de petites chaises de cuir tressé et partageant les galettes et les noix. Si les hommes ont adopté la shalwar kameez de l’Asie du sud, les femmes restent, au quotidien, des princesses vêtues de leurs belles robes noires brodées de couleurs vives, parées de lourds colliers et ceintes de leur insolite coiffe de perles. Ils parlent une langue d’origine indo-aryenne, leur peau est souvent claire et nombreux sont les yeux clairs, verts ou bleus. Si une étude récente aurait localisé une souche migratoire plausible du côté de l’Autriche, on sait en revanche que la « tradition » présentée comme une vérité établie, qui voudrait qu’ils soient issus de l’armée d’Alexandre le Grand, reste une théorie fumeuse, une plaisante affabulation romantique dénuée de tout fondement scientifique.

 

Voici le grand festival du Joshi !

Hier, femmes et enfants ont décoré le village de bouquets de genêts, couleur d’or, donnant lieu à de charmants attroupements. Ce matin, c’est « jour du lait » : les Kalash passent de maison en maison avec du lait frais et des fromages, pour bénir les foyers et purifier animaux et bébés. Voici le grand festival du Joshi ! Les 4 jours du renouvellement sont lancés ! Il s’agit d’honorer les fées, qui représentent les esprits de la nature, mais aussi les bergers qui vont partir pour les premières transhumances, d’invoquer les déesses protectrices pour obtenir des récoltes abondantes et la protection des troupeaux. Le tout dans une atmosphère festive, chaleureuse, où musique, danses et même sarabandes sont omniprésentes. Le moment aussi où les anciens (les kasis) content les histoires de leur peuple et remontent pendant des heures les généalogies kalash. Un irrésistible tourbillon de savoirs antiques, de joie, de couleurs, de poussière, de vins partagés aussi, car ils sont produits localement, au grand dam des autorités provinciales et des mollahs islamistes.

 

Inscription au patrimoine culturel de l'Unesco

Quelques semaines à peine après mon départ, Jordi disparaissait et, orphelin de leur protecteur, les Kalash lui organisèrent des funérailles comme pour l’un des leurs. Ce peuple reste plus que jamais un peuple attachant mais en sursis, condamné à l’assimilation à court ou moyen terme. À moins que leur inscription au patrimoine culturel immatériel de l'humanité auprès de l'Unesco cette année, grâce à quelques passionnés, suscite, peut-être, une prise de conscience au plus haut niveau…

Franck Charton, mars 2019

 

Retrouvez nos voyages lors des fêtes de Joshi et traversée vers Gilgit et lors de la fête hivernale de Chaumos

Retrouvez l'ensemble de nos voyages et treks au Pakistan

Découvrez ci-dessous quelques photos de cette immersion :

 

 Sommets l’Hindou Kouch au-dessus de Chitral

Sommets de l’Hindou Kouch au-dessus de Chitral

 

Vallée de Bumburet

Vallée de Bumburet

 

Nouristanis islamisés

Nouristanis islamisés

 

Entrée d’un temple kalasha

Entrée d’un temple kalash. Les dieux ne pouvant être représentés,
seuls leurs chevaux sont visibles

 

Ancienne évoquant la difficulté de continuer à danser et chanter

Ancienne évoquant la difficulté de continuer à danser et chanter, au moment
des fêtes sous la pression des mosquées locales

 

Village kalash de Guru en vallée de Birir

Village kalash de Guru en vallée de Birir

 

Intérieur et famille kalash de Krakal

Intérieur et famille kalash de Krakal

 

Ancien Kalash de Brun, récitant de la poésie

Ancien Kalash de Brun, récitant de la poésie, les yeux fardés de khôl

 

Effigies de bois des ancêtres

Effigies de bois des ancêtres, souvent cachées pour éviter qu’elles soient 
vandalisées ou brûlées, une tradition qui a quasiment disparu

 

Prélude au Joshi, la cueillette des fleurs qui vont orner maisons et parures

Prélude au Joshi, la cueillette des fleurs qui vont orner maisons et parures

 

Jeune fille aux yeux révolver

Jeune fille aux yeux révolver

 

Début des danses collectives

Début des danses collectives

 

Splendides broderies et lourdes coiffes en cauries

Splendides broderies et lourdes coiffes en cauries,
ces porcelaines-monnaies décoratives

 

Un kasi évoque le long enchaînement des générations

Un kasi évoque le long enchaînement des générations, et la perpétuation
de la culture kalash, depuis des temps immémoriaux

 

Jour central du Joshi : à l’issue d’une grande procession en musique

Jour central du Joshi : à l’issue d’une grande procession en musique, hommes
et femmes s’échangent rituellement des rameaux de noyer

 

Les jeunes femmes forment des rondes dansantes

Les jeunes femmes forment des rondes dansantes, bras dessus,
bras dessous, sous le regard intéressé de leurs prétendants

 

Trois sympathiques membres de la police des frontières

Trois sympathiques membres de la police des frontières,
veillent sur la sécurité des rares visiteurs étrangers 

 

Jordi Magraner dans sa chambre, à Krakal, devant ses trophées de chasse

Jordi Magraner dans sa chambre, à Krakal, devant ses trophées de chasse et
sa collection d’artefacts rapportés de ses expéditions

 

Abdul, l’hôtelier historique de Bumburet, savoure un verre de vin produit dans la vallée

Abdul, l’hôtelier historique de Bumburet, savoure
un verre de vin produit dans la vallée