La panthère des neiges (Panthera uncia) est un animal emblématique, probablement l’un des carnivores et même des mammifères les plus fascinants. À ce jour, ceux qui ont eu la chance de l’observer à l’état sauvage restent peu nombreux. Car, voir la panthère des neiges se mérite. Cela implique de se confronter au froid, à l’altitude et à une patience sans commune mesure avec celle nécessaire pour dénicher un tigre dans la plaine. Une situation qui ne fait que renforcer le mythe autour de celle qu’on surnomme le fantôme des montagnes. Ainsi, logiquement, il nous reste beaucoup à découvrir sur cet animal fascinant qui arpente les montagnes d’Asie depuis près de 50 millions d’années. Les premières observations scientifiques et l’apparition de l’espèce dans la littérature ne datent que des années 70. Le biologiste américain Georges Schaller est le premier à la prendre en photo en 1971. On parle alors d’observations à pied, jumelles au cou et carnet de notes dans la poche. Des moyens simples et peu efficaces pour en tirer des conclusions pertinentes, en particulier au regard de l'aire de répartition gigantesque de la panthère des neiges. L’utilisation récente des dernières technologies, comme le suivi par satellite, et la formation d’équipes de pisteurs extrêmement qualifiées nous permettent de désormais mieux la connaître, d’apprécier ses fabuleuses adaptations à son environnement et de mesurer les menaces croissantes qui pèsent sur elle.
La majorité de son territoire est encore inexploré
La panthère des neiges est présente dans les montagnes de 12 pays d’Asie : Afghanistan, Bhoutan, Chine, Inde, Kazakhstan, Kirghizstan, Mongolie, Népal, Pakistan, Russie, Tadjikistan et Ouzbékistan. Son territoire couvre une superficie dépassant les 1,8 million de km², avec des données très inégales d’un pays à l’autre. Les données récentes sont par exemple inexistantes en Afghanistan, et la prise récente du pouvoir par les talibans ne permettra pas, bien entendu, d’y remédier. Dans la majorité des autres pays de son aire de répartition, une estimation de son territoire a été effectuée, et la population est également estimée grâce aux appareils photos à déclenchement automatique et à des analyses de poils ou de fèces.
Sachant que l’animal évolue le plus souvent à des altitudes situées entre 2 500 et 5 500 mètres (il peut cependant être observé à moins de 600 m d’altitude, en particulier en Russie avec 70 à 90 individus sur une superficie de 20 000 km² environ), il est très compliqué d’avoir des données régulières fiables. Les estimations de la population dans certains pays sont anciennes et la population actuelle évaluée avec une marge d’erreur non négligeable. Au Kazakhstan par exemple, on considère qu’il y avait entre 180 et 200 individus sur un territoire de 50 000 km² en 82 (Fedosenko). La dernière estimation (Loginov) de 10 à 120 individus date de 2011. Outre les données génétiques et les observations à l’œil nu, par pièges photo ou en se référant aux données génétiques, d’autres moyens sont utilisés pour en calculer la densité. Les chercheurs se basent alors également sur des facteurs comme la qualité de l’habitat qualifié de pauvre, moyen ou bon, en rapport notamment avec la disponibilité des proies du carnivore. Sa population est actuellement estimée à un chiffre entre 400 et 6 500 individus.
S’il est considéré que 60 % de l’habitat global de l’animal est en Chine, il est surtout remarquable qu'il soit estimé que 70% de son territoire est encore inexploré.
© Renaud Fulconis
Une formidable adaptation à son environnement
Seuls des pisteurs très entraînés parviennent à trouver sa trace dans un environnement inhospitalier, où toutes les pierres se ressemblent et où il faut savoir où porter son attention, et ce dans le moindre détail. Cet animal de surcroit n’a pas volé son surnom de fantôme de la montagne. Plus surprenant, son pelage aux teintes blanches, grises et noires lui permet de se cacher tout autant sur la neige que parmi les roches de son environnement une fois l’hiver passé.
Sa longue queue agile, qui représente 70 % de la longueur de son corps, lui permet de se déplacer à des vitesses proches de 50 kilomètres heure sur des pentes très escarpées, et surtout lorsqu’elle chasse une proie. Pour atteindre cette dernière ou traverser des ravins, elle peut bondir à 9 mètres de distance. Son corps, particulièrement élastique lui permet de survivre à des chutes parfois d’une très grande hauteur, notamment durant la chasse.
Afin de résister aux températures très basses et aux forts vents de son environnement, elle a la capacité de réchauffer l’air au passage dans ses larges narines avant qu'il n'atteigne ses poumons. Lorsqu’elle se couche, elle se sert de sa queue comme d’une couverture fine qu’elle étend sur son corps pour en limiter la déperdition de chaleur.
© Jigmet Dadul
Une alimentation mieux connue
Pendant longtemps, nos connaissances sur le régime alimentaire de la panthère des neiges se résumaient à la consommation principale de grands ongulés, d’animaux domestiques (yacks, vaches, chevaux, ânes, chameaux, chiens), et d’un complément opportuniste de petit mammifères et oiseaux. L’étendue de son tableau de chasse est aujourd’hui bien mieux connue, en particulier grâce aux études génétiques des fèces, tout comme les espèces avec lesquelles les panthères entrent le plus souvent en compétition.
Le loup gris (Canis lupus), le dhole ou chien sauvage d’Asie (Cuon alpinus), le lynx (Lynx lynx), et bien moins fréquemment le léopard (Panthera pardus) et le tigre (Panthera tigris). Dans certaines régions de Mongolie, Johansson et al.ont estimé en 2015 que les panthères des neiges se nourrissaient à 73 % d’espèces sauvages, le reste étant des animaux domestiques avec les préjudices que cela cause aux villageois déjà pauvres. Il est également aujourd’hui estimé qu’une grosse proie – un bharal par exemple (Pseudois nayaur) – est consommée tous les 10 à 15 jours.
© Renaud Fulconis
Une espèce très menacée
Malheureusement, les panthères des neiges elles aussi sont aujourd’hui menacées de disparition. Les menaces sont nombreuses. Si le tigre est braconné pour l’ensemble des parties de son corps, c’est la fourrure de la panthère des neiges qui, principalement, alimente le trafic illégal. Les os, les mâchoires et la viande sont aussi recherchés, mais c’est sans commune mesure avec l’intérêt pour les peaux. Pour cette raison, l’animal a été classé en Appendix 1 de la convention de Washington sur le commerce illégal des espèces menacées en 1975.
Ainsi, tout commerce de l’espèce est depuis lors interdit, sans que cela ait contribué significativement à réduire la pression de braconnage pour autant. Il semble même que le trafic se soit intensifié autour des années 90 en Russie et en Asie centrale. Il est prouvé, mais ces chiffres sont sans doute très en deçà de la réalité, qu’une moyenne d’un individu par semaine a été braconnée sur l’ensemble de son aire de répartition entre 2003 et 2012. « En deçà », tant il est difficile et coûteux de monter des opérations de renseignements sur des territoires aussi inaccessibles face à des réseaux clandestins très bien organisés !
Les conflits avec les villageois représentent une autre menace sur l’espèce, car les dégâts qu'elle provoque peuvent être conséquents pour leur qualité de vie. Le travail des organisations non gouvernementales, parfois appuyées par les États eux-mêmes, permettent, dans certains pays au moins, de limiter les représailles par abattage ou empoisonnement.
Le réchauffement climatique, dont les projections sont parfois alarmistes, a déjà des répercutions sur l’équilibre de la biodiversité, avec notamment par endroits des modifications sur les glaciers, sur le permafrost, les précipitations, les températures... et les dégâts qui en découlent sur les écosystèmes, la faune et les populations.
© Renaud Fulconis
Et si vous partiez sur leurs traces avec moi ?
En janvier prochain, j’accompagne un petit groupe au Ladakh, dans l’Himalaya indien, sur les traces des panthères des neiges. Et croyez-moi, ce voyage est exceptionnel. En évoluant à votre rythme à une altitude de près de 4 000 mètres en deux lieux différents, nous multiplions nos chances d’observer celle que nous convoitons tant. Nous logeons en campement confortable dans le parc d’Hemis, puis au sein même d’un village parmi les habitants.
Notre équipe locale est bienveillante et à l’écoute, en plus d’être parmi les meilleures pour identifier les traces de passage de la panthère des neiges et la dénicher dans des paysages à couper le souffle. Et puis, la nourriture locale d’Urgain notre cuistot est de grande qualité, mais pas pimentée si c’est votre souhait.
© Jigmet Dadul
Avec la panthère des neiges au Ladakh, voyager sur la piste du fantôme des montagnes.
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