Transsibérien. Voilà un mot qui résonne en nous comme une invitation au voyage, à l’aventure. Ourlée de mystère et d’histoire, la plus longue ligne de chemin de fer du monde n’a de cesse de faire rêver écrivains et voyageurs. Un voyage en Transsibérien, c’est une fuite en avant, une plongée dans l’histoire du plus grand pays du monde, la rencontre d’une prouesse technologique. Dans notre imaginaire, c’est un mythe ancré en nous depuis le XIXe siècle, une soif de découverte et d’aventure à travers la lointaine Sibérie que l’on veut étancher, un voyage inoubliable que l’on rêve d’accomplir au moins une fois dans sa vie.
Mais quelle est donc cette force irrésistible, mystérieuse qui attire vers toi, Russie ? Comment puis-je entendre ton chant puissant, mélancolique, qui retentit d'une mer à l'autre entre tes immenses frontières ? Qu'a-t-il donc ce chant ? Quels appels, quels pleurs cache-t-il ? Il étreint nos cœurs, il fait naître l'angoisse, il pénètre nos âmes... Russie ! Que veux-tu de moi ? Quel est ce lien profond qui nous unit l'un à l'autre ? Pourquoi me regardes-tu ainsi et pourquoi tout ce qui vit et palpite en toi se tourne-t-il vers moi avec des regards plein d'attente ?... Perplexe, immobile, je te contemple... Une nuée épaisse descend, lourde de tempêtes menaçantes et ma pensée s'est tue devant l'immensité de tes espaces... Quel avenir cachent ces étendues sans limites ? Toi qui n'as aucune borne, seras-tu la patrie de la Pensée infinie ? (...) Oh ! Terre de splendeur, de merveilles inconnues !... Ô Russie !
Nicolas Gogol, Les Âmes mortes - 1842
Transsibérien : un voyage dans l’Histoire
Un voyage à bord du Transsibérien est une plongée dans l’Histoire.
Deuxième moitié du XIXe siècle : les grands empires se livrent une lutte sans merci pour s'accroître et l’expansion territoriale en devient rapidement le symbole. La récente révolution industrielle offre un outil sur-mesure : le chemin de fer.
Moteur de l’unité des États-Unis d’Amérique, le Transcontinental apparaît rapidement comme une source d’inspiration au tsar Alexandre III, de plus en plus soucieux de créer l’unité au sein de son vaste empire et de se prémunir contre des voisins belliqueux, la Chine et le Japon. En cas d’agression, quoi de plus pratique que le rail pour acheminer rapidement ses troupes aux quatre coins de l’Empire ?
Mais l’équation est complexe ! La distance à parcourir est trois fois plus importante que celle du Transcontinental américain. La Sibérie, partie centrale de l’Empire russe au climat austère (+40 –60 °C) et à la géographie complexe (forêts, fleuves, montagnes), reste largement méconnue. Enfin, le tsar n’a pas les moyens financiers de ses ambitions.
Oubliée la campagne napoléonienne de Russie, pour financer son projet, le tsar se tourne vers la France et sa république naissante. Une aubaine pour cette dernière qui, en soutenant les Romanov, sort de l’isolement et obtient un avantage stratégique sur l’Allemagne. Dès 1888, un grand emprunt russe est lancé à Paris.
En 1891, Nicolas, futur Nicolas II et dernier tsar de Russie, inaugure le chantier du rail à Vladivostok. Dans le plus grand pays du monde, un mythe est né qui accompagnera son destin tumultueux et contrasté.
Début du XXe siècle : dans le Pacifique, un affrontement acharné se joue avec le Japon. Les nombreuses pertes et l’inefficacité dans l’acheminement des troupes de l’Empire vers le front laissent présager le pire. Puis les conflits s’enchaînent et l’Empire est malmené. La guerre civile de 1920 succède à la Première Guerre mondiale.
Convoité tant par l’Armée rouge des bolcheviks que par l’armée blanche des tsaristes, le Transsibérien joue un rôle clé pour la victoire, mais paie un lourd tribut. Près de 60 % du réseau ferré, 90 % des locomotives et 80 % des wagons sont détruits.
Au début de l’ère bolchevique, malgré un état de délabrement avancé, les trains continuent néanmoins de circuler, non sans provoquer des incidents et plusieurs accidents.
Alors que la Grande Purge et les déportations commencent, Staline ordonne en 1930 de doubler la ligne de chemin de fer pour voyager en sécurité dans son train personnel. Cet hôtel particulier et luxueux côtoie régulièrement les sombres wagons calfeutrés emmenant des milliers d’âmes vers les camps du Goulag.
Le 22 juin 1941, grâce à une spécificité qui le distingue absolument, le Transsibérien retrouve une place glorieuse : alors qu’Hitler menace Moscou, qu’il souhaite détruire pour mettre fin au communisme et, par la même occasion, à une grande puissance voisine, l’écart entre les rails du chemin de fer, dépassant largement ceux de l'Europe, rend impossible l’acheminement des trains blindés et des canons du IIIe Reich. Le Transsibérien s’illustre ainsi dans la défense de la nation et le rail facilite l'exode rapide des Moscovites.
Ce retour à la lumière se consolidera de sa contribution à une autre conquête majeure : celle de l’espace. En effet, au début des années soixante, le Transsibérien véhicule tout le matériel spatial à destination du cosmodrome de Baïkonour ; de là, le 12 avril 1961, Youri Gagarine réalise le premier vol dans l'espace et c'est un triomphe mondial pour l'Union soviétique.
Un chantier titanesque et une prouesse technologique
Il n’existe pas de mythe sans exploit, et la construction du Transsibérien en est un ! Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, cette ligne de chemin de fer devient la plus audacieuse et la plus ambitieuse du monde. Il faut dompter la nature et franchir les nombreux obstacles qui se dressent sur sa progression.
La traversée de la Sibérie est sans conteste le terrain qui donne le plus de fil à retordre aux ingénieurs puis aux ouvriers confrontés parfois à des « caprices » non anticipés de la nature. Ainsi, les grandes crues de printemps du fleuve Amour inondent la vallée de l’Oussouri et les kilomètres de rails déjà posés.
Les ingénieurs rivalisent d’ingéniosité pour bâtir plusieurs ponts, parfois très longs ; ces derniers surplombent les fleuves et rivières qui parcourent la région et qui figurent, pour certains, parmi les plus grands d’Eurasie : l’Ob, la Volga, l’Ienisseï ou encore l’Amour.
Outre la maîtrise de l’eau, il faut composer avec le relief accidenté, alternance de montagnes et de vallées, ainsi qu'avec l’épaisse taïga. D’impressionnants tunnels sont creusés ; avec ses quinze kilomètres, le plus long est celui de Severomouïsk sur la ligne Baïkal-Amour Magistral (BAM).
Une autre particularité de la Sibérie est son sol recouvert en bonne partie de pergélisol. Le sol gelé jusqu’en été, puis gorgé d’eau, rend l'avancée des travaux lente et éprouvante pour les ouvriers que le froid mordant ou la prolifération des moustiques meurtrissent au gré des saisons.
Enfin, la perle de Sibérie, le lac Baïkal, le plus profond du monde, représente un défi majeur avec ses falaises abruptes et sa superficie de plus de 30 000 kilomètres carrés. Le tracé initial de la ligne prévoit de le traverser. Les wagons sont embarqués à bord d’un imposant ferry : le Baïkal vapeur qui rejoint Port Baïkal et l’actuel Babouchkine. Mais les déboires et les pertes liés à la guerre avec le Japon poussent à modifier le tracé et à contourner la plus grande réserve d’eau douce du monde par le sud.
Pour réaliser son chantier titanesque, l'Union soviétique a recours à des ouvriers chinois, japonais, coréens qui viennent s’ajouter aux nombreux prisonniers et déportés politiques du Goulag. Les conditions d'existence et de travail sont d'une extrême rudesse.
Au total, la ligne principale du Transsibérien s’étend sur plus de neuf mille kilomètres d’ouest en est, et traverse plus de cinq cent gares entre Moscou et Vladivostok.
Dans ses premières années, le Transsibérien circule uniquement sur le territoire russe, avant de rejoindre Pékin, d’abord par la Mandchourie, puis par la Mongolie et sa capitale Oulan-Bator.
Le mythe du Transsibérien dans l’imaginaire des Français
Conscient de la grandeur et de la démesure du plus grand ouvrage ferroviaire jamais entrepris, le tsar avait ordonné, lors de la mise en œuvre du chantier, de construire une véritable chapelle sur rails, composée de cloches et de vitraux ; vu le gigantisme et la difficulté des travaux à venir, il fallait entretenir la ferveur religieuse du peuple ! La chapelle voyageait d’un chantier à l’autre pour assurer l’office hebdomadaire aux ouvriers orthodoxes.
Les aléas de l'histoire et les inventions nécessaires à la construction du Transsibérien ont alimenté son mythe, en particulier chez les Français associés, dès le départ, de cette magnifique entreprise. Aussi, les écrits et la littérature franco-russe n’ont eu de cesse, en France, de nourrir et amplifier l’imaginaire. Si l’on s’évade volontiers sur cette ligne de chemin de fer avec les tranches de vie et les portraits que nous conte la plume de Tolstoï, la littérature française a largement pris sa part dans l'élaboration du mythe.
Et si l’idée d’une grande ligne de chemin de fer traversant le vaste Empire russe et permettant de lutter contre l’ennemi avait été soufflée au tsar par… Un français ?
Aquarelle représentant le Transsibérien © Eric Nem
En 1876, Jules Verne nous embarque au cœur de l’Empire russe, au cœur de la Sibérie, en compagnie de Michel Strogov. Dans ce fabuleux récit, la grande Russie est menacée par l’un de ses voisins, l’émir de Boukhara ; les moyens de communication sont coupés et le tsar Nicolas II envoie Michel Strogov en mission pour rejoindre Irkoutsk et avertir son frère d’une invasion imminente. Pour les besoins du tsar, le train relie déjà Saint-Pétersbourg à l’Oural, point de départ d’une aventure périlleuse sur les terres mystérieuses de la Sibérie.
Lorsqu'au début du XIXe siècle, la réalité rejoint la fiction... Au même titre que l'Orient-Express, le Transsibérien apparaît comme une façon unique et originale de relier l'Europe à l'Asie. Il devient une source de rêverie et d’aventure inépuisable pour les poètes et écrivains de l’époque. Ainsi, le voyage vers des contrées inconnues apparaît comme une aventure en soi, digne d’un roman de Jules Verne.
C’est également à cette époque que de nombreux géographes et ethnographes français font connaître les peuples de Sibérie et documentent l'exploration de la région. Tous ces récits d’aventure et de rencontres enrichissent l'imaginaire du Transsibérien en germination depuis l’Exposition Universelle de Paris, en 1900.
Sans jamais ne l’avoir emprunté, Blaise Cendrars est un exemple de ceux parmi tant d’autres que l'histoire du Transsibérien transcenda, au point de publier un recueil de poèmes, la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France ; il contribua ainsi à la diffusion du mythe de cette charismatique ligne de chemin de fer auprès des Français.
« Je suis en route
J'ai toujours été en route avec la petite Jehanne de France
Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
Le train retombe sur ses roues
Le train retombe toujours sur toutes ses roues
« Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? »
Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours
Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré Cœur contre lequel tu t’es blottie
Paris a disparu et son énorme flambée
Il n’y a plus que les cendres continues
La pluie qui tombe
La tourbe qui se gonfle
La Sibérie qui tourne
Les lourdes nappes de neige qui remontent
Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui
Le train palpite au cœur des horizons plombés
Et ton chagrin ricane…
« Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre? »
Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France - 1913
En savoir plus :
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- Partir À bord du Transsibérien, de Saint Petersbourg à Vladivostok
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