27 mars 2019 - Asie centrale, Mongolie, Peuples et fêtes

Les courses d’attelages, par équipe de trois, dont un jockey et un porte-bannière

 

Chaque mois désormais, nous laissons à notre ami Franck Charton le soin de nous conter un de ses meilleurs moments de voyage et de partager avec nous ses plus belles images. Pour cette troisième chronique, Franck nous emmène en Mongolie. Appelé Tsagaan Sar, ou « lune blanche », le Nouvel An mongol symbolise aussi le premier jour du printemps, quand le dur de l’hiver commence à s’émousser, soit entre mi- et fin février, selon le calendrier lunaire. Cette traditionnelle célébration familiale s’accompagne, depuis 2002, du Festival des glaces, interdit lors la période soviétique, puis remis au goût du jour par les pasteurs darhat, chaque premier week-end de mars, sur les glaces oniriques du lac Khövsgöl, dans le nord du pays. J’ai eu la chance d’assister à sa toute première édition.

Le vieil Antonov m’a largué à l’orée de Mörön, chef-lieu de la région de Khövsgöl. Sous un ciel maussade, quelques jeeps mongoles délavées par trop de tempêtes attendent les voyageurs. Pour quelques milliers de tugriks, les 100 km de piste sont avalés à une allure record. Khatgal, village de pasteurs essentiellement darhat bordant le grand lac, ressemble à un campement pionnier : maisons de bois décaties, gers ou yourtes de feutre, troupeaux de yacks et chèvres en semi-liberté… Et partout, le moutonnement des collines poudrées de neige, ourlées de la grande forêt, armée dénudée, de mélèzes aussi hiératiques qu’innombrables. Une ou deux guesthouses familiales accueillent les visiteurs, mais le festival se tenant à quelques kilomètres de là, en plein no man’s land hivernal, je préfère loger dans une isba de rondins, en fustes, construite pour l’occasion, sur les berges attenantes de la rive occidentale, avec un poêle central et de rudimentaires lits de camp où étendre son duvet. Au cœur de la nuit, les températures titillent encore les  -40°C, et sortir satisfaire aux exigences de la nature relève du supplice, alors qu’en journée, il fait désormais autour de -25°. Presque supportable, sauf pour les piles de l’appareil photo, que j’ai besoin de fourrer contre ma peau toutes les cinq minutes, afin de les ressusciter !

Au matin, un soleil cru irradie le lac d’une lumière aveuglante. Premiers pas en apesanteur sur la glace, épaisse par endroits de près d'un mètre cinquante ! Aucun risque de passer au travers, même pour les camions qui filent vers le nord à fond la caisse, à même la glace mais munis de chaînes. Ils assurent la liaison avec la Russie voisine et le grand cousin de l’autre côté de la frontière : le lac Baïkal. La glace, d’une pureté cristalline, laisse voir à travers sa chape diaphane un univers fantasmagorique de zébrures, bulles, marbrures et dessins moirés. Hypnotique !  Avec en sourdine, quand on y plaque l’oreille, un inquiétant chuintement venu des profondeurs, comme les appels d’obscurs mondes sous-marins, mystérieux et bien vivants…  

Mais place au spectacle ! À l'occasion de la fête, les Darhat du Khövsgöl, mais aussi les populations russophones vivant dans la région frontalière, convergent ici pour participer aux animations et activités phares : courses de traîneau à cheval, sur une vingtaine de kilomètres, avec des crampons attachés aux sabots, un ballet hallucinant ; tournoi de lutte mongole, le sport national, chaque duel se concluant par la fameuse danse de l’aigle du vainqueur, bras en V et démarche chaloupée ; édification de sculptures sur glace et séances de patinage sur l’immense miroir translucide (135 km de long, 36 de large), souvent munis de patins de fabrication artisanale, avec une lame, une méchante semelle de bois et de simples lanières de cuir. Un chaman a été convié pour lancer l’évènement, près d’un ovoo, autel de pierres à destination des esprits, habillé de drapeaux de prière bleus et de cornes de bovidés. Rituellement, il prononce les formules auspicieuses, suivies des vibrations de sa guimbarde à bouche, scandées de jets d’alcool, de grains de riz ou de lait. Une guinguette temporaire a été montée à la hâte pour servir un peu de vodka, de la bière, des soupes de nouilles et de la viande de mouton à des clients en épais manteaux et chapkas, installés sur des rondins. Je m’offre une incursion sur un traîneau pour ressentir la vitesse des attelages équestres, sous la conduite d’un jockey buriné aux allures de pirate des glaces. Je m’accroche comme je peux. L’horizon danse, la poudre glacée vole autour de notre équipage et me brûle les paupières, je sens mes pommettes bleuir sous le scalpel du vent. Sacrés mongols, quels durs à cuire ! Au retour, je dois filer me réchauffer dare-dare dans l’isba, où le feu qui ronronne 24h/24 redonne vie à mes extrémités, avant de replonger dans la morsure du froid subpolaire. La fête continuera jusqu’à demain, les yeux givrés et la tête dans les étoiles…

Franck Charton, avril 2019

 

Les attelages sur glace, énormes luges tractées pas des chevaux munis de crampons

Les attelages sur glace, énormes luges tractées par des chevaux
munis de crampons Attraction # 1 du Festival des glaces

 

Campement de yourtes de la rive occidentale

Campement de yourtes de la rive occidentale, avec à droite, l’isba-cuisine
où le poêle tourne 24 /24, seul refuge contre les -30°C

 

Exemple de vague figée par le gel, lors d’une tempête lors de la glaciation du lac

Exemple de vague figée par le gel,
lors d’une tempête lors de la glaciation du lac

 

La fantasmagorie de la glace, sur 1,20 m à 1,50 m d’épaisseur

La fantasmagorie de la glace, sur 1,20 m  à 1,50 m d’épaisseur

 

La flotte de navires commerciaux en rive nord, immobilisée dans les glaces

La flotte de navires commerciaux en rive nord, immobilisée dans les glaces

 

Entrée en lice des participants à lutte mongole

Entrée en lice des participants à la lutte mongole

 

Cavalier darhat portant la chapka en fourrure de renard et loup arctiques

Cavalier darhat portant la chapka en fourrure de renard et loup arctiques 

 

Rencontre avec le chaman qui sort de transes

Après une séance de consultation des esprits 
rencontre avec le chaman qui sort de transes

 

Le vieux Khadju, corsaire des glaces

Le vieux Khadju, corsaire des glaces

 

La glace cristalline, source infinie de jeux pour les enfants comme pour les adultes

La glace cristalline, source infinie de jeux pour les enfants comme pour les adultes

 

Campement de gers intermédiaire, entre Khatgal et Möron

Campement de gers intermédiaire, entre Khatgal et Mörön

 

Retrouvez notre voyage Festival des glaces et rencontre avec les Tsaatans

Retrouvez l'ensemble de nos voyages et treks en Mongolie