Cataracte du Nil au Soudan © JM Porte
Sans censure, sur un voyage particulièrement rare ou emblématique, nous vous livrons les paroles de nos clients, à leur retour de voyage. Elles sont livrées telles qu'elles nous ont été transmises. Pour poursuivre nos « Paroles de participants », nous avons demandé à un de nos voyageurs de février de nous parler de son aventure inoubliable au pays des Pharaons Noirs. Maintenant que le pays s’apaise et que la promesse d’y retourner enfin se précise, nous sommes heureux de vous donner lecture de son témoignage.
29 Mars 2019, onze heures et demie, nord-est de la France.
J'ai reçu les questions ce matin sur mon ordi poussiéreux et la petite voix – je ne la connais que trop, hélas ! - la petite voix me dit : « Laisse tomber tout ça ! Dehors le vert pousse et ça gazouille ; sors, oublie, vis. » La chienne me regarde, vieille, ankylosée, malade. De vivant en elle, il n'y a guère plus que l'espoir et cet oeil confiant vers moi, donné. Promis c'est promis. Ne pas faire c'est mentir. Elle part tout doucement. Dix-sept ans, c'est un bel âge a dit le véto. N'espérez pas l'impossible. Déjà, elle ne voit plus d'un oeil. L'autre, qui perçoit de moins en moins, reste fixe. Dans le vague peut-être mais vers moi. Elle attend sur son panier qu'arrive le rayon du soleil. Elle attend. Ce qui vient. Les animaux ne mentent pas. Ils sont. Je répondrai aux questions.
Entre l'Égypte et l'Éthiopie, le Soudan n'apparaît pas souvent comme une destination de voyage. En effet, il est plutôt connu, depuis quelques décennies, par une actualité triste – voire inquiétante – et non pour son potentiel touristique. Qu'est-ce qui vous a attiré vers cette destination ?
La vie est courte et Zénon n'a pas tort : il faut essayer de faire le tour de la prison avant de la quitter. « La notion de départ est liée à tant de difficultés d'une part, à tant de malentendus de l'autre » constate Marguerite Yourcenar. Alors, « vaut-il la peine de sortir de chez soi ? » J'ai moi aussi répondu oui. L'Égypte est dans tous nos livres d'histoire depuis la sixième ; l'Éthiopie est une résidence secondaire de Frédéric Lopez et de ses invités, alors pourquoi pas le Soudan ? Un moment, j'ai même cru que Lili venait du Soudan. La mémoire vous joue de ces tours... Non, bien sûr, « Elle venait des Somalies, Lili » et la complainte de Pierre Perret s'égrène avec nostalgie dans ma tête. Ce n'est pas si loin et tout aussi exotique .
Alors pourquoi ?
C'est peut-être parce que j'accumule les pays où je vais comme les gamins collectionnent les images de joueurs de foot dans les boîtes de Vache qui rit. Ne plus retourner dans un pays où on est allé. Planter une tête d'épingle sur la carte scotchée au mur et passer au suivant.
Pourquoi ?
Je me rappelle La mort du roi Tsongor. J'avais rêvé à une Afrique majestueuse, ancestrale, traditionnelle, vraie. Je vais vérifier. Non, Massaba ne se trouve pas au Soudan. Massaba est imaginaire. Je ne sais plus pourquoi j'ai choisi cette destination. Un hasard. Tamera proposait. Pourquoi pas ? C'était différent des circuits habituels. Je voulais du soleil original. C'était parti. Et puis la tête de mes collègues m'a plu. Ils ont roulé des yeux ! « Mais c'est de la folie ! » Frileux. J'avais beau préciser que c'était Méroé, les pyramides, le Nil et le désert, en aucun cas le Soudan du Sud qui se retrouve de temps à autre au journal de vingt heures pour une actualité désolante, rien n'y a fait.
Partir par esprit de contradiction, est-ce une bonne raison de partir ? Et pourquoi pas ? À moi l'inconnu.
Avez-vous été surpris par ce pays et ce que vous en avez découvert en deux semaines ? Au regard des pays que vous avez déjà visités, offre-t-il le dépaysement que l'on peut attendre d'un voyage ?
Il ne devait guère y avoir de surprise. Et pourtant... Je connaissais quelques paysages d'Égypte et des déserts. L'histoire et Le petit futé m'ont appris qu'au sud d'Abu Simbel et du lac Nasser c'est la deuxième cataracte (où est la première ?). Nous y sommes arrivés un soir avant le coucher du soleil, dans l'étroit ruban de verdure du fleuve coincé entre les deux déserts, libyen et nubien, au temple de Soleib, ma première merveille du Soudan. Je me souviens d'une lumière incroyable, jaune orangée, violente et belle, qui semble émaner de trois colonnes seulettes au bout de la piste. Au dessus, le bleu du ciel, uniforme, profond. Il n'y a personne ou presque : trois ou quatre étrangers et nous. Nous descendons des 4X4. « N'oubliez pas vos filets de tête » avertit le guide. Je pense avec amusement à ce gadget pour touristes qu'on nous a distribué et que j'ai fourré dieu sait où dans mon bagage. « Il y a des mouches » ont prévenu d'un air sérieux les chauffeurs et le guide. Et alors ? On nous prend pour des touristes ? J'avance avec attention, presque recueillement vers les imposantes colonnes. Pas de cars, de touristes jacassant, de boutiques-souvenirs. Le sable, les pierres et l'immensité du ciel. J'effleure l'histoire, les siècles qui ont passé ici, les pharaons, la sérénité des choses... et plop! Je tousse, je crache, j'ai du mal à respirer, je me gratte les conduits auditifs. J'ai beau ne pas être Oreste, voici qu'en une fraction de seconde m'apparaît la signification de son mythe et la vanité de toute résistance. Sartre a-t-il visité Soleib ? L'enfer c'est les mouches ! Les toutes petites, les minuscules, enragées, les mouchettes. Après quelques minutes d'installation, chacun dans son filet-voilette coloré rose, bleu, blanc photographie, écarquille les yeux. Il vaut mieux, piètre photographe que je suis, écouter l'écho de l'air drapé entre le Nil et le temple, autour des colonnes. Mes photos ne seront que déception mais le souvenir de ce moment suspendu, à la recherche d'un profil de pharaon, d'un cartouche sur des stèles éparses me reste et, en levant la tête, la belle fragilité de deux oiseaux agrippés à un chapiteau de ciel bleu roi.
Nous gagnons au soleil couchant notre maison nubienne. Lorsque nous reviendrons, le lendemain matin, voir cette merveille, nous traverserons les champs d'oignons où les paysans aussi, pour certains, auront leur filet sur la tête. Tout va bien. Amon soit loué ! Le disque solaire monte paisiblement sur le royaume de Koush. Nous repartons. Il y a beaucoup moins de monde qu'en Égypte. Nous avons l'illusion d'être presque les seuls voyageurs, comme des explorateurs du XIXe siècle. Impression agréable qui nous accompagnera jusqu'à Méroé, plus touristique.
Ai-je répondu à la question posée ? Peu importe : le Soudan n'est pas l'Égypte, la France n'est pas l'Allemagne. Ressemblances et différences.
De nombreux sites archéologiques y sont encore en fouilles ou dans une préparation visant à favoriser la découverte des voyageurs étrangers (construction des allées dans les sites, préparation de pancartes informatives...). Cet aspect de « chantier » vous a-t-il gêné ou lui avez-vous trouvé un certain charme ?
À l'époque où j'étais jeune (si, si ! Je l'ai été !) j'avais une vénération sans pareille pour les musées, dépositaires de l'histoire des hommes. Il est vrai qu'il y a de belles pièces dans des musées mais certains de ceux que j'ai visités n'étaient pas suffisamment bien entretenus et organisés pour être agréables à visiter. Parfois il faudrait nettoyer la poussière sur les étagères avant d'espérer attirer les visiteurs mais j'ai remarqué une certaine indifférence indolente des personnels locaux à cet endroit. J'ai préféré, à la visite des musées, l'échange avec des volontaires japonais, allemands, polonais impliqués dans les fouilles ou la restauration patiente d'un mur (en costume bavarois de compagnons du devoir !).À Kerma, Doukki Gel, passer dans la poussière sableuse des brouettes, inlassablement ramenée par le vent têtu sur les fouilleurs, au sommet d'un plateau, permet d'apprécier à leur juste valeur le dévouement et l'abnégation de ceux qui déblaient, truellent, dégagent, cherchent. Leçon de fourmis ferventes. Leçon de patience et d'humilité. L'Égypte, fouillée depuis Bonaparte, vient à peine d'ouvrir cinquante hectares de musée près des pyramides. Non, je viens de vérifier, c'est reporté à 2022. Au Soudan, il me semble que tout est encore à faire. Il y a encore à trouver, à découvrir, à comprendre et à organiser.
Selon vous, l'histoire de la Nubie et ses sites archéologiques donnent-ils un nouvel éclairage sur les sites égyptiens ? Constituent-ils un complément intéressant à leur connaissance ?
Christian Jacq est l'auteur à succès qui accompagne le rêve égyptien de beaucoup d'écoliers, la détente de jeunes cadres dynamiques ou de moins jeunes ou de moins dynamiques. Même si l'on considère avec un amusement un peu méprisant parfois son exploitation de la veine égyptienne, on se laisse aller. C'est bien agréable. Et puis est sorti Le pharaon noir. Je ne l'ai pas lu. Je me suis dit :« Là , il pousse un peu ! On peut ratisser large mais tout de même ! Un pharaon noir ! » Alors oui, lorsque l'on tombe, bien des années plus tard, sur l'évidence des Pharaons Noirs, Taharqa et les souveraines de Méroé, ça étonne. Deux mille trois cents ans avant J-C, les Nubiens développent à Kerma une civilisation et une culture singulières. Tout cela remet en place notre vision des Égyptiens. Ils ont colonisé nos livres d'histoire, sont accrochés en reproductions à nos murs, admirés. Ils ne sont pas les seuls à mériter notre mémoire. Toutankhamon vient, de temps à autre, à Paris, étaler les richesses de l'Égypte et les raffinements de sa civilisation mais j'ai vu à El Kurru, dans la nécropole des pharaons de la XXVe dynastie, des plafonds bleu étoilé et sur les fresques, des profils qui valaient bien ceux des tombes égyptiennes.
Auriez-vous une anecdote à partager qui puisse donner l'envie de découvrir ce pays et ses populations ?
Ce qui me vient à l'esprit est-il une anecdote ? Sans doute pas, au sens où on l'entend la plupart du temps. C'est ce qui me passe en tête. Ici et maintenant. La résolution d'un problème d'expression. À la sortie du désert de Bayuda, un peu de l'illusion, de la magie qui, souvent, habite mes rêves de sable et de silence était retombée. Naga puis Khartoum, la capitale, la ville où grouillent les hommes. Il restait encore sur la fiche technique de Tamera une curiosité à vivre. Lors de mon passage en Éthiopie, plus de dix ans auparavant, j'avais fait une excursion, une épouvantable montée sous une chaleur atroce. Il était prévu d'aller voir les chutes du Nil bleu. J'attendais, sinon une « grande fumée »( Tissabay en amharique ), du moins un mini-exotisme certifié, comme lorsque sur un guide vert ou bleu, futé ou pas, l'on vous signale: « étonnant », « à voir », « panorama », « curiosité ». C'était en février aussi ; il n'y avait aucun débit. Oubliées les belles chutes pleines de fumée d'eau que Monsieur Google promouvait, photo majestueuse à l'appui, sur Wikipedia. Il restait un filet d'eau misérable, tombant d'une poussière caillouteuse. J'avais dû me rabattre sur une carte postable et rêver presque in extenso ce Nil bleu. J'étais à présent de l'autre côté de la frontière et ce paresseux pitoyable arrivait d'Éthiopie pour rencontrer le Nil blanc. Me rappelant ma déception amharique, je me demandais comment on allait pouvoir me montrer deux couleurs d'eau ! Sur le bateau, tandis que le second fait une toilette sommaire avec deux poignées d'eau puisées à la poupe, le capitaine nous amène à la confluence des deux bras du fleuve. Un tourbillon malmène un peu l'embarcation et plus loin : le Nil sans adjectif de couleur. On tourne et repasse sur la confluence exacte. Mon incrédulité a dû céder. Imagination ou pas ? Je parviens à distinguer une eau plus claire, transparente et l'autre plus foncée, bleue, profonde. Un varan placide se chauffe sur la berge et des tisserins industrieux, jaune éclatant, s'égosillent. J'ai vu ! J'ai pris une photographie mais si floue que tout est gris. Reste le souvenir.
Retour en France: Monsieur Wiki parle aussi d'un Nil rouge mais c'est de la littérature....
Jeudi 11 Avril 2019
Le 22 Février, pendant que nous étions là-bas, a été décrété l'état d'urgence. Je viens de m'en aviser. Nous ne l'avons pas su lorsque nous étions sur place. Nous rentrions à Khartoum après le désert. En France aussi je l'ai connu cet état et la vie a continué. Ce matin, Omar El Béchir vient d'être destitué par l'armée.
E.G.Walsknir
Nous espérons que le Soudan sera très bientôt apaisé et que nous pourrons de nouveau en découvrir les beautés multiples : celle de ses civilisations passées, celle de sa nature entre la verdoyance du Nil et les déserts arides, celle de son peuple chaleureux.
Des optimistes impatients ont déjà pré-réservé leur voyage pour janvier et février, n’hésitez pas à faire de même : Nil et déserts des Pharaons Noirs.
Pour prolonger le plaisir : https://vimeo.com/jeanmarcporte
Merci à Jean-Marc Porte & Jean Philippe Noël pour les photos !