Sans censure, sur un voyage particulièrement rare ou emblématique, nous vous livrons les paroles de nos participants, à leur retour de voyage. À l'aube de 2021, durant 10 jours, Isabelle, Cécile et Marc se sont accordé le bonheur d'être présents au festival annuel du vaudou déployé au Bénin, sur les terres natives de croyances et pratiques séculaires. Merci à eux de partager avec nous leurs émotions et dense expérience !
En période de Covid, s'éclipser de notre monde confiné dans un tel voyage serait-il le fait d'inconscients ? Là-bas aussi « le cache-nez » est de sortie lorsque les grands masques tournoient et que les tambours rythment la danse. Voyager en ces temps troublants et troublés : l'occasion de s'interroger vraiment sur son désir d'ailleurs et de rencontres, l'occasion d'approcher l'essentiel d'une démarche qui ne se dilue plus dans le commun « besoin de prendre des vacances », ni ne se drape dans « l'habitude de voyager ».
Masque en cérémonie © JM Porte
Dans cette période de pandémie qui n'épargne aucun continent ni pays, vous avez pris la décision d'aller au Bénin malgré d'éventuels risques. Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous a attiré vers ce pays à ce moment de l'année ?
Cécile. Jeune étudiante en médecine, à 20 ans, je suis allée un mois en Haute-Volta (Burkina Faso actuel) ; une démarche humanitaire dans le cadre d'un projet sanitaire. J'étais avec Henry, mon futur mari, le père de mes enfants, mon ex toujours présent dans ma vie : ce fut un voyage initiatique et un bouleversement absolu ; dans un petit village de brousse au nord de Ouagadougou, des rencontres et l'expérience d'un quotidien qui a désorienté mes représentations d'alors, bousculé ma façon de penser, mon rapport au temps ; j'ai découvert que « notre logique n’a rien d’universel ». J'éprouvais néanmoins le sentiment d’être à ma place, au plus près de mon humanité et peut-être de ma féminité.
Depuis, le désir de revenir en Afrique a toujours été présent en moi, mais avec le sentiment que cela ne pouvait être pour des vacances… Et voilà qu'en pleine pandémie Covid, en plein hiver, Marc me dit : « Tu viendrais avec moi au Bénin ? ». Au plus profond de moi a surgi un oui absolu. Dans la seconde qui a suivi, je me suis dit : « Tu es folle – ton travail, comment vas-tu faire ? N’est-il pas indécent de partir en pleine épidémie Covid, les soignants français n’en font-ils pas déjà assez pour que tu prennes ce risque ? ». Mais j'ai saisi cette magnifique opportunité et contre toute attente mes filles m’ont fortement encouragée... Tandis que mon fils m’a dit « tu ne vas aller te faire kidnapper pendant 4 ans comme cette française! » Au moment du départ, mon frère attendait sa sortie d’hospitalisation pour Covid sévère… La phase critique était passée. Mon désir était le plus fort. Besoin d’ailleurs, besoin de voir comment d’autres sur cette planète vivaient cette pandémie. Le retour en terre d’Afrique était donc ma première motivation, la découverte du Bénin et des rites vaudou n’a fait que conforter ma décision….
Isabelle. Pandémie ou non, la santé a toujours été pour moi une préoccupation avant, pendant et après un voyage. Qu’il s’agisse du Covid-19, de paludisme ou d’accidents, il s'agit moins de ne pas prendre de risques que de les mesurer. Après avoir consulté mes proches, d’autres voyageurs et l’Institut Pasteur, j’ai décidé que l’opportunité d’assister à la fête nationale du Vaudou et des religions endogènes ne pouvait pas se refuser ! Je suis partie un peu inquiète, mais informée, prudente et déterminée à appliquer rigoureusement les gestes barrières.
Marc. Ce projet de voyage était antérieur à la crise sanitaire actuelle. Après examen de la situation en décembre et avis directs, je n’ai pas eu le sentiment de prendre des « risques » supérieurs en allant au Bénin plutôt qu’au supermarché du coin. La double procédure de tests à l’aéroport, en place depuis plusieurs mois, y est bien plus sérieuse qu’en France aujourd’hui. Dans les agglomérations, le port du « cache nez » et les mesures de base (lavage des mains notamment…) sont omniprésents. Depuis plusieurs années, le pays célèbre quasi officiellement le vaudou le 10 janvier. Disons que c’est une bonne « date clé », pour un voyageur qui veut découvrir les univers béninois du vaudou. Les cérémonies se déroulent dans de nombreux temples et villages après cette date.
Grigris vaudous & mains © JM Porte
Votre voyage s'est-il ressenti, dans son déroulement et ses diverses modalités, de la crise sanitaire? Comment le peuple béninois vous semble la traverser ? La crainte de la contamination est-elle flagrante et envahit-elle les rapports sociaux comme chez nous ?
M. Le Bénin vit avec le Covid de façon étonnamment responsable. La pédagogie des mesures barrières y est vraiment présente. Mais le pays, il me semble, ne vit pas du tout la pandémie sur notre versant « catastrophique ». Simplement parce que, quelle qu'en soit l’explication scientifique, et contrairement à ce qui fut ma grande crainte début 2020, le virus, sans être absent, n’a absolument pas eu en Afrique le même impact qu’en Europe, en Inde ou aux USA. Selon les chiffres du CSSE de la Johns Hopkins University, le Bénin, à l’heure où je parle, ne compte que 48 décès Covid pour 3500 cas déclarés.
Nous avons tenu un rythme de déplacement quotidien, de la côte au nord, à la rencontre de différentes cérémonies, danses, visites de temples, du cœur de la capitale à des bouts du monde isolés… Autant de jours de voyage que de visages du vaste panthéon vaudou. Dans les villages, le port du masque, malgré nos tests négatifs, fut notre marque de respect envers nos hôtes. Jamais je n’ai senti la moindre défiance ou crainte de leur part…
C. Au moment de notre arrivée à Cotonou à trois heures du matin, nous avons été dirigés vers le centre Covid VIP installé dans une grande tente majestueuse, avec une infrastructure hyper moderne et un personnel professionnel : une organisation hors pair. Au moment de l’entrée dans la tente nous étions invités à passer dans un sas de décontamination digne d’un film de science-fiction ; j’ai d’ailleurs eu un moment d’étourdissement où je n’arrivais plus à trouver « la sortie », c’est-à-dire l’entrée effective au Bénin et la sortie de France !
Dés lors, la question Covid n’a pas compliqué le voyage pour moi. À l’entrée des institutions, magasins, églises, restaurants, bars, hôtels, des distributeurs d’eau javellisée et savon fournis par le gouvernement sont mis à disposition. La population ne semble pas inquiète, car le pays paraît peu touché par l’épidémie. Les hommes, les femmes, les enfants semblent vivre normalement… Ils rigolent, ils discutent, ils mangent ensemble, au restaurant, dans les rues, dans les villages. Ils dansent, vont à l’église… Tout cela fait du bien. La croyance, notamment vaudou, semble participer à cette tranquillité.
I. J’ai eu l’impression de vivre un moment historique. Quelle place pour le voyageur dans ce monde nouveau ? Heureusement, notre guide plein de créativité a su broder autour des quelques contraintes (administration, annulations) pour laisser libre cours aux joies de l’exploration.
J’ai ressenti très peu de peur de la part des Béninois, mais de la dignité, du calme et de la foi. Ils que j’ai rencontrés semblent avoir confiance en la vie, leurs semblables et leur résistance physique. Ils avaient plutôt peur pour nous ! Au-delà de ça, tout cela était nouveau pour tout le monde, et les codes sociaux à réinventer. Beaucoup de sourires à travers les masques, d’observation réciproque et d’adaptation au comportement de l’autre. J’en garde la sensation d’un respect mutuel et d’un accueil chaleureux.
Danse © JM Porte
L'intérêt principal de voyage était de découvrir le monde du vaudou. Mission remplie ? Le vaudou imprègne-t-il toujours l'existence quotidienne des Béninois ?
I. Absolument ! Jour après jour, les divinités, symboles et pratiques se sont assemblés comme les pièces d’un puzzle dans mon esprit, pour former un tout cohérent, une sorte de « trame du vaudou ». Comme un arbre sur lequel il ne me reste plus qu’à aller comprendre chaque branche plus en profondeur… Lors de prochains voyages !
Il m’a semblé que les divinités font presque partie de la famille, au même titre que les ancêtres avec qui les Béninois communiquent régulièrement. L’ampleur des prières et offrandes s’adapte en fonction de l’occasion, mais « les dieux travaillent toujours. » Le lien avec le monde des esprits est omniprésent.
M. Sans même parler de croyance, il est vraiment difficile d’échapper à la présence et à la force du vaudou au Bénin. Fétiches, temples, danses, offrandes : d’une cérémonie dans un village à des entretiens singuliers avec des initiés, d’un autel perdu aux cérémonies de divination, elle est très diversifiée dans ses manifestations. Et il est difficile d’ignorer, dans ce type de voyage, l’importance de ces rites et croyances dans la vie du Bénin aujourd’hui. Après, à chacun de composer son propre rapport avec le vaudou et ses manifestations, qu’elles soient supranaturelles ou pas. Mais comme pour toute croyance, la compréhension sensible ou intellectuelle de son univers est un long chemin…
Prêtre vaudou & Case des fétiches © JM Porte
Avez-vous assisté à plusieurs cérémonies ? Quelles impressions vous ont-elles laissées ? Avez-vous fait des rencontres de personnes particulièrement liées au vaudou ?
I. Oui, j’ai été marquée par les cérémonies du 10 janvier à Ouidah, et j’ai été transportée par les célébrations en l’honneur de Sogbo Ogou Odan à Kpindji. Si je devais y apposer quelques mots : tournoiement, organique, électricité, coloré. Et comment oublier le prêtre de Tron ? Il faudrait faire un documentaire sur sa vie !
C. Ce voyage a été d’une grande richesse : nous avons assisté, voire participé, à de nombreuses manifestations très différentes de rite vaudou. Nous avons pu rencontrer dans de nombreuses régions du Bénin différents prêtres ou pontifes ayant des fonctions différentes. Certaines rencontres étaient seulement pour nous ; pour d'autres, nous étions avec la population pour assister aux cérémonies. Nous n’avons pas partagé la vie des habitants des villages, ni même des villes. Nous les avons rencontrés dans la sphère publique de rites vaudou, mais les lieux de ces rites sont au cœur des villages, dans des coins un peu cachés des villes et sont, me semble-t-il, au cœur de la vie quotidienne.
Je n’ai ressenti aucune méfiance, aucune crainte que nous pourrions être choqués de certaines pratiques de sacrifice et divulguer en retour des réserves sur ces pratiques. Cette confiance m’a beaucoup touchée.
Nous avons pu rencontrer un prêtre vaudou, une sommité dans un grand temple vaudou, très fréquenté. Nous avons fait une cérémonie de vœux et ce prêtre, un homme sage, a été vraiment à notre écoute…
Cérémonies vaudoues © JM Porte
Avez-vous eu les explications nécessaires pour comprendre les manifestations auxquelles vous avez assisté ? Isaac, le directeur de l'agence avec laquelle nous travaillons au Bénin et au Togo, vous a accompagnés tout au long de ce parcours. Que pouvez-vous nous dire de son implication et de son travail ?
C. Chaque fois, Isaac était assisté d’un guide local pour nous donner toutes les explications et répondre à toutes nos questions. J’ai ressenti une réelle envie de partage et de transmission. La présence de notre guide Isaac est en grande partie une des raisons de ces échanges possibles. Je me suis dit : « C'est ça un voyage culturel ! ».
Dans un voyage où nous sommes mobiles (contrairement à l'immersion que j'avais faite jeune femme), il n'est peut-être pas toujours aisé de tout comprendre et de tout décrypter des situations humaines et codes relationnels et j'ai éprouvé parfois des incertitudes inconfortables confrontée à certaines situations: il m'est arrivé, par exemple, de ressentir en certains lieux, de la part des femmes, une forme de réserve ... Pourquoi? Isaac m’a dit que c'était à cause du Covid ... Comment en être sûre? Mais cela ne donne-t-il au voyage une de ses vraies saveurs: d'être ailleurs, en des lieu qui gardent leurs énigmes?
I. Nous avions toutes les explications nécessaires avec, bien sûr, encore de la place pour le mystère ! Isaac, plus qu’un guide était aussi un fin traducteur et il a été capable de transmettre les messages en même temps que leurs sous-entendus. Être guide est plus qu’un métier pour Isaac, c’est une passion. Il sait comprendre les demandes d’un groupe, puis faire appel à sa créativité, son talent et son réseau pour lui concocter la meilleure expérience possible. J’avais l’impression que son travail ne s’arrêtait jamais, et j'avais toute confiance en lui. Cerise sur le gâteau : son sens de l’humour !
M. Je n’aime pas le terme de fixeur, mais Isaac fut tout simplement la clé de quasiment toutes nos rencontres quotidiennes avec les différents visages du vaudou durant ce séjour. Sans ses rapports et ses liens personnels avec certains officiants et temples, et la connaissance de son pays, je n’imagine pas une seconde que ce voyage aurait eu le dixième de sa richesse et de sa « réalité » envers les rites, lieux et dimensions du vaudou que nous avons eu la chance de partager.
Fétiches vaudou © JM Porte
Quel instant de votre voyage, ou quel lieu, vous a le plus marqués et que vous souhaiteriez nous raconter ?
I. Plus qu’un lieu ou moment particulier, j’ai été marquée par l’atmosphère générale de magie brute qui a imprégné le voyage. Brousse ou centre-ville, chez des peuples nomades ou sédentaires, j’avais l’impression que chaque nouvelle destination me donnait un indice supplémentaire sur la profondeur de la spiritualité béninoise.
C. Ce qui a été très fort pour moi lors de ce voyage est le fait de ce mélange de modernité et de tradition, dans le même espace-temps. J’ai encore intactes les sensations de mon arrivée dans le premier village, où tous les enfants, une vingtaine, sont venus nous accueillir, nous prendre la main avec leurs grands sourires et cette curiosité immense. Cela m’a transportée dans mon premier voyage en Afrique, il y a plus de 30 ans. « Rien n'a changé, c’est là, et je l’avais oublié...».
Le sourire d’un vieil homme qui, avec beaucoup de délicatesse, m’a fait comprendre qu’il avait faim : je lui ai donné un billet ; il est revenu quelques minutes plus tard avec une belle assiette de riz et un œuf : joli moment de partage. Cela fait du bien aussi de croiser les anciens qui n’ont pas peur du Covid !!
M. Le souvenir le plus marquant : plus peut-être que l’atmosphère secrétive impressionnante de certains lieux ou pratiques, je garde en mémoire les regards saisis dans les foules des hommes, des femmes et des enfants rassemblés face aux déités, durant les danses des esprits. Un mélange d’effroi et de respect ? Incarné et visible, le merveilleux y côtoie la crainte, le « surnaturel » agit en présence incarnée, en mouvement et (aussi) en beauté.
Barque de pêche © JM Porte
En savoir plus :
Si, comme Cécile, Isabelle et Marc, vous souhaitez participer au festival vaudou du Bénin, en dix journées intenses, retenez sur votre agenda le départ du 8 janvier 2022 pour le voyage Au cœur du Vaudou.
Cependant, tout au long de l'année, l'âme du vaudou palpite et diffuse dans le quotidien des Béninois... Nous vous invitons à découvrir les diverses dimensions de ce chaleureux et magnifique pays en rejoignant l'un de nos autres itinéraires dans cette région d'Afrique: Les mondes du sacré. N'hésitez pas à prendre vol et pistes...
La vidéo de Jean Marc Porte suite à sa participation au festival :
© JM Porte