Point de rencontre entre deux sauvageries, désertique et océane, la côte des Squelettes reste un lieu mythique
Chaque mois désormais, nous laissons à notre ami Franck Charton le soin de nous conter un de ses meilleurs moments de voyage et de partager avec nous ses plus belles images. Pour cette neuvième chronique, Franck nous emmène en Namibie, dans le désert du Namib.
Il était une fois le désert
Aux confins de l’Afrique australe, le gigantesque massif dunaire du Namib vient mourir dans les eaux glacées de l’Atlantique sud. Plus haut, la côte des Squelettes donne sur les montagnes du Damaraland, tapissées d’une savane aride. Dans ces espaces âpres et infinis, un fascinant bestiaire s’est adapté.
Texte et Photos Franck Charton
Sèche-cheveux
Le bimoteur s’arrache du petit aéroport d’Eros dans le clair-obscur d’un ciel d’encre qui pèse sur Windhoek, la capitale namibienne. Aux manettes, Paula, charmante jeune femme aux airs de Tomb Raider, qui nous emmène d’une poigne de fer au septième ciel, même si les nombreux trous d’air rendent vite l’expérience nauséeuse. C’est donc avec soulagement, que nous touchons terre 1 h 30 plus tard. Les sables semblent vaciller et l’horizon tangue : ne jamais mélanger mal de mer et mirages de chaleur ! Le camp de Kulala Wilderness surgit, adossé à la colline pelée. Le décor est splendide de minéralité et de sauvagerie. Rien à la ronde, excepté la terre de sel, des cailloux, encore des cailloux, et le feston des dunes orange en toile de fond. Respirer, se sustenter, siester... La chaleur accablante transforme le moindre geste en acte de bravoure. Douche brûlante, air suffocant : la sensation dessicante d’un sèche-cheveux pointé en permanence sur la figure ! C’est à moitié lyophilisé que j’embarque dans une jeep vers les fameuses dunes de Sossuvlei, via la Kulala Wilderness Reserve. Le programme de protection est un succès, comme en atteste le nombre élevé d’autruches, de springboks, d’outardes ou de renards du désert.
Un oryx dans les dunes
La piste devient route bitumée, à l’approche du parc national du Namib Naukluft. En même temps, un vent de sable s’est levé, forcissant à chaque tour de roue. La lumière tombe, le décor s’estompe. Les dunes majestueuses qui nous faisaient une haie d’honneur il y a quelques minutes se volatilisent. Le paysage prend des allures de no man’s land ouaté, d’où émergent les silhouettes inquiétantes d’arbres tordus. Arrêt au pied de la dune 45, dont l’ascension constitue un must. Dans les bourrasques incessantes de sable tourbillonnant, la tâche se révèle néanmoins plus ardue que prévue, le fil dunaire se rompant sans cesse, avec la sensation de trébucher à chaque pas ! Seul au sommet, les dents crissent, le matos grince, mais je scrute avec ivresse l’avis de tempête sur la mer de sable à mes pieds, qui se redessine à l’envi, dans un nuancier admirable de camaïeux abricot, gris et mauve. Plus loin, au bout de la route, voici Sossusvlei : à perte de vue, des dunes de toutes tailles, un chapelet de dépressions parfois lacustres à la période des pluies, et de magnifiques arbres survivant grâce à la rosée venue du large. L’ambiance devient fantasmagorique sous une lumière d’outre-tombe. Une bande d’oryx, ces antilopes du désert aux cornes effilées de la taille d’une sagaie, erre nonchalamment dans ce paysage mélancolique. Cinq kilomètres de piste sableuse réservée aux 4x4, puis quinze minutes de marche dans le sable, conduisent au fameux bosquet relique de Deadvlei. L’ancienne tourbière au sol d’argile blanche contraste avec l’imposante dune orange en second plan, contre laquelle se dressent les moignons, desséchés depuis bien longtemps, d’une poignée d’acacias du désert. L’onirisme de ce tableau naturaliste prend toujours à la gorge. Bientôt, la pluie – oui, la pluie ! – commence à tomber et le ranger hoche la tête, incrédule : « Ca n’arrive jamais, ici ! Ce sont les premières gouttes depuis au moins neuf mois ». Ce site mythique devient ensorcelant sous une bruine « armorique ». Le retour, de nuit, sous les rafales de pluie, avec en prime la hantise de heurter les oryx, nombreux, et visibles au dernier moment dans le halo des phares, semble interminable.
Scenic flight
Le lendemain, le gros temps persiste sous un ciel cafardeux. Le safari photo en montgolfière doit être annulé et je me résous à continuer mon voyage plus au nord, via un transfert aéroporté. Le pilote décide cependant d’attendre que le vent tombe un peu pour tenter le décollage depuis l’air strip du Desert Lodge, en lisière du parc. Zane est un pilote affable, au look juvénile. Nous partons finalement avec 2h30 de retard, et une fois dans les airs, nous sommes secoués comme un prunier ! Le fameux corridor dunaire de Sossuvlei semble noyé dans un flou artistique, entre brouillard et poussière. Le « scenic flight » doit être dérouté, pour éviter l’« œil » de la tempête devant nous. Après un long crochet plus au sud, nous ré-émergeons au-dessus d’un moutonnement uniforme de reliefs sableux. La côte des Squelettes apparaît enfin, battue par des rouleaux puissants. Des colonies d’otaries rythment les plages à intervalles réguliers. Ici, une mine fantôme, là une épave de navire prise dans les hauts fonds. Parfois un mur de sable, littéralement, hérisse la grève. Près de Walvis Bay, éclairant une anse aux reflets d’aigue marine, scintillent de gigantesques salines roses. Puis voici Swakopmund, cité balnéaire aux allures de maquette, prise en sandwich entre deux océans, atlantique et sableux. Nous obliquons ensuite vers l’intérieur, survolant des zones de plus en plus montagneuses, couronnées par sa majesté le Brandberg, puis une série de canyons cyclopéens, avant les collines tabulaires ou coniques du Damaraland. Mais des rideaux de pluie, formant comme des herses, barrent l’accès à la piste d’atterrissage ! Il ne nous faudra pas moins de trois essais, remettant chaque fois les gaz in extremis au moment du « touch down », pour réussir à nous poser sans encombre, avec une bonne dose d’adrénaline laissée en bord de piste !
Rhino Camp
Le Rhino Camp émerge des touffes de Welwitschia comme une vision enchantée : de grandes tentes de brousse plantées dans un décor de commencement du monde. Un immense plateau caillouteux, zébré de failles qui sont autant d’oasis, veillé par une douzaine de sommets étrangement plats ou arrondis. C’est ici, dans la concession privée de Palmwag, que l’on vient de la planète entière, tenter d’observer, d’abord en 4x4, ensuite à pied, les très rares spécimens sauvages du rhinocéros noir de montagne. Tous les matins, une escouade de visiteurs accompagne à l’aube la patrouille des trackers professionnels du « Save the Rhino Trust », chargés de veiller sur cette population qui a frôlé l’extinction. Le guide Megusto nous fait signe de ne plus faire de bruit. Par radio, il vient d’apprendre que Tensie, un jeune mâle de 4 ans, au tempérament irascible, vient d’être repéré. Les véhicules sont stoppés derrière un buisson d’Euphorbia damarana, une plante endémique très toxique dont les Bushmen enduisent la pointe de leurs flèches. Derrière les trackers armés, nous progressons courbés en deux, jusqu’à nous trouver face à ce mastodonte d’environ une tonne, toutefois plus petit et trapu que l’autre espèce africaine, le rhino blanc. Ce dernier est herbivore, alors que le noir est un phyllophage, c’est à dire qu’il se nourrit de feuilles, bourgeons et rameaux. Mais le vent a tourné et nous sentant aussitôt, il lève la queue en signe d’irritation et fait mine de charger. Nous refluons en désordre pour aller nous mettre à bonne distance et jumeler, pendant que notre escorte note les données du jour sur le carnet de suivi : localisation GPS, distance d’approche, santé apparente, comportement etc… La population de rhinos de montagne est aujourd’hui estimée à environ 180 individus, soit trois fois le nombre des derniers survivants, il y a 25 ans. Un beau succès, dans cet environnement semi-désertique où chaque naissance et saluée comme une victoire improbable. Longue vie à Tensie et les siens, « dinosaures » du wilderness austral !
Découvrez notre voyage en Namibie.
Ciel d’orage sur le petit aéroport d’Eros, juste avant le décollage !
Le cadre enchanteur et rude du Desert Lodge, en lisière du parc national du Namib
Le tableau surréaliste de Deadvlei (« marécage mort » en afrikaan),
dans les dunes géantes du parc national du Namib Naukluft.
Ces vestiges d’acacias du désert auraient environ 900 ans, à l’époque où les eaux
stagnaient ici à la faveur d’un cordon dunaire. Le bois ne se décompose pas,
du fait de la sécheresse exceptionnelle de l’air.
Championne du monde de sobriété, l’antilope du désert,
ou oryx, ne boit quasiment jamais !
Couloir des dunes de Sossusvlei, sous la tempête de sable !
Les salines de Walvis Bay, « la baie des baleines », anciennement territoire
sud-africain et actuellement une petite ville à trente kilomètres au sud de Swakopmund.
Dans le delta d’une rivière, ces têtes d’épingle sont des flamands roses.
Sur 200 km de littoral, le parc national protège les otaries à fourrure, grâce au
courant froid de Benguela qui permet au plancton de se développer. Ces mammifères
marins sont cependant menacés par la surpêche et le changement climatique.
Le rivage de la Skeleton Coast tire son nom des épaves de navires échoués
et partiellement recouverts par le sable, suite à la combinaison d’un fort courant
marin, de brouillards fréquents et d’une côte désertique inhospitalière.
Situé dans le quart nord-ouest de la Namibie, le Damaraland doit son nom
au peuple Damara, le premier groupe bantou (originaire d’Afrique centrale)
venu s'installer en Namibie au IXe ou Xe siècle.
Le Damaraland est une zone de transition complexe et vallonnée, entre la côte
des Squelettes et les plateaux du centre, ou se dressent les kopje.
Dans le Damaraland, survivent les derniers spécimens sauvages
de rhinocéros noirs de montagne
Tisserin masqué (Ploceus velatus). Ils hantent les frondaisons des acacias,
pour construire et renforcer leurs complexes nids en cloche,
parfois agglomérés pour former des cités de paille.
Un lion du désert émacié, qui attend l’heure de la chasse
dans le hallier épineux d’Ongava.
Harde de zèbres dans le parc d’Etosha. Créé en 1975, il forme, avec 23 175 km carrés,
l’un des plus vastes espaces de protection de Namibie.
Elands du Cap dans le veld, ou bush, d’une réserve privée
Rhinocéros blancs, mère et fils, près d’Etosha
Calao d’Afrique du Sud, ou Tockus rufirostris