Désert du Taklamakan © Jean-Marc Porte
Une décennie de navigation à grande échelle, inscrite souvent dans le parti pris du temps long et des itinéraires rares. Une ère de liberté et d’ouverture presque provocante, écrite du Sahara à l’Asie, à contre-courant des balises sombres de la décade, entre 11 septembre 2001 et les débuts des Printemps arabes. Une période où les cartes des possibles, vus d’aujourd’hui, eurent souvent des goûts d’invraisemblables. Il faut se méfier – toujours – des superlatifs et des regards complaisants jetés vers le passé. Mais pour Tamera et ses équipes, tout autant que pour ses voyageurs, la traversée de la première décennie du XXIe siècle fut aussi brillante… que remuante. Cet article a été rédigé par notre fidèle ami Jean-Marc Porte, journaliste, photographe, auteur et grand voyageur, témoin privilégié de cette extraordinaire décennie. Les photos toutes prises pendant les aventures avec Tamera sont également de Jean-Marc.
Retrouvez le chapitre 1 des trente ans - 1994 - 2001 : fondation de Tamera Voyages d'Aventure
Retrouvez le chapitre 3 des trente ans - 2011-2024 : engagement total dans un monde bouleversé
Tibet © Jean-Marc Porte
Naissance des grandes caravanes
Ouverture en beauté ? Après une « première » expérience de voyage au long cours menée en 1999 sur une traversée Pékin-Katmandou via les hauts plateaux du Tibet, c’est en Syrie, à Damas, le premier janvier 2003, que se rejoignent les deux premières grandes caravanes Tamera. Moment unique de jonction de mondes disjonctés ? Venue de Nouakchott (Mauritanie), l’équipe de la Transsaharienne boucle, en 103 jours de traversée ouest-est, la traversée continue de 10 pays d’Afrique et du Proche-Orient. 21 000 kilomètres de désert au compteur, dont 450 de méharée et de marche. Venue de Chine, et reprenant les axes centraux des mythiques routes de la Soie, la grande caravane asiatique arrive de Pékin. 110 Jours. 19 000 kilomètres parcourus sur les cartes, dont 360 à pied, avec un passage mémorable par l’Irak, entre Iran et Syrie, trois mois avant l’intervention américaine. Dans la petite histoire des agences spécialisées en France, les dimensions de durée et de profondeur géographique de ces grandes caravanes feront date.
Ouzbékistan © Jean-Marc Porte
Saga des grandes caravanes, les voyages d’une Vie
Portées à l’origine par les savoir-faire de Jacques Châtelet et de Jérôme Kotry, ces « voyages d’une vie », comme en parleront certains participants, explosent littéralement les catégories des programmes classiques. Jongler avec les cultures. Le terrain. Les frontières. Les saisons. Les modes de déplacement. L’audace et l’esprit fabuleux de ces grandes caravanes inaugurales vont se déployer régulièrement pour l’agence tout au long des années 2000, avec une série de propositions sans égales. Un mémorable Sibérie-Siberut, reliant le Baïkal russe à l’Indonésie. Ou des transversales passablement déraisonnables : d’Ispahan à Angkor (2006) via Pakistan, Inde, Bhoutan, Birmanie et Laos, de Samarkand à Hanoï via l’Afghanistan et tout le Tibet d’ouest en est, du Xinjiang au Yunnan (2007), ou enfin, sur les traces des missions Griaule en Afrique, un exceptionnel Dakar-Djibouti…
Moluques © Jean-Marc Porte
L’esprit des grandes caravanes par Trek Mag
En 2002, deux journalistes de Trek Magazine (Thomas Bianchin et Jean-Marc Porte) furent les hôtes « embedded » de la caravane Pékin-Damas. Trek Mag consacrera un numéro complet à ce voyage sur les routes de la Soie. Extrait :
« Cette caravane fut peut-être assez folle, belle, longue, intense, difficile (voir surréaliste ou si légère, aussi), pour nous imposer à son retour une petite leçon de silence… Franchir des frontières, chevaucher des « zones d’influences », traverser des provinces, s’immiscer aux confins d’empires aussi complexes que la Chine, l’Asie centrale ou l’Orient : l’exercice fut aussi passionnant que rare. Cultures, langues, régimes politiques, histoires : ces mois furent remplis de glissements insensibles comme de ruptures, de continuités comme de différences. Rien à voir, de fait, avec un voyage (déjà complexe) dans « un seul pays » : à l’écho des ruines millénaires, aux empreintes d’empires et de civilisations, ont aussi répondu les rumeurs et le souffle de l’histoire immédiate, voire même de l’actualité. Certes, de beaux bivouacs. Mais pas que. Chacun d’entre nous a pu confronter ses représentations, ses savoirs plus ou moins partiels à quelques « réels » qui – surprise ? – n’avaient que rarement à voir avec les images de nos journaux télévisés… Alexandre le Grand, Marco Polo ou David Neil ne disent que peu de choses sur des questions aussi actuelles que l’après 11 septembre en Asie Centrale ou l’état d’esprit d’un soldat de seconde classe en Irak. Nous n’avons pas la présomption d’écrire que nous en savons « mieux », mais cet exercice n’est pas sans importance. Il dessine une forme de beauté. La beauté sans cesse à découvrir et à dire, du monde, du vaste monde, qui n’est ni aussi paisible, ni aussi déchiré que ce que l’on veut bien en croire. (…). La « vie comme un voyage » fut l’une des esquisses inattendues de ces mois. »
Contreforts des Kunlun © Jean-Marc Porte
Horizons nouveaux
En parallèle à ces high-lines, Tamera continue de nourrir en son sein d’autres univers majeurs. Fidèle à ses ancrages sahariens, l’agence se retrouve dès la fin des années noires dans le grand Sud algérien. Et du Niger au Mali comme au Tchad ou en Lybie, ses liens historiques avec le grand désert ne se distendront qu’avec les répercussions profondes des Printemps arabes. Mais la décennie ne cesse, aussi, d’ouvrir d’autres horizons, beaucoup moins classiques à l’époque. Aux confins de l’Assam indien, Tamera défriche les territoires rares de l’Arunachal Pradesh et du Nagaland, entrouvre les mondes des peuples et des territoires perdus de l’Indonésie, notamment les « hommes-fleurs » Mentawaï, et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, avec Philippe Gigliotti à la manœuvre rencontré sur la caravane Sibérie-Siberut. Ou commence à accompagner, sur un tout autre registre, les démarches d’un Pierre Ramaut autour des « états de grâce » très particuliers liés à la marche au long cours dans la thématique « Marcher pour progresser ».
Assam et Arunachal © Jean-Marc Porte
Le Jour où Tamera a bien failli se perdre
Hiver 2004. Partis initialement avec une poignée de voyageurs passionnés pour une reconnaissance des secteurs soudanais du massif de l’Ennedi, Jacques connut alors l’un des pires scénarios sahariens qui soient sur un voyage : le dépassement du point de non-retour.
Après discussion à Khartoum sur l’impossibilité de rejoindre les secteurs prévus du Medop, trop proches du Darfour, le groupe se replia sur un plan B : les oasis de Merga, situées à quelques 750 kilomètres de la capitale. Après plusieurs jours de hors-piste sous la direction d’un guide soudanais, les points GPS finirent par pointer que les indications suivies étaient (largement) erronées. L’oasis avait été dépassée de près de 200 kilomètres. Incertain quant à l’idée de revenir vers ces oasis, le groupe décida de jouer le tout pour le tout et de continuer à avancer vers d’improbables postes militaires situés sur la frontière avec la Libye, avant de buter in fine sur les plateaux du Gilf el Kebir… en Égypte. La porte de sortie de cette longue et angoissante dérive – la seule carte à jouer avant le drame – fut, au final, la grande oasis libyenne de Koufra. À quelque 1300 kilomètres du point de départ. Et pour conclure, une sortie par Tripoli !
Soudan © Jean-Marc Porte
Créer son propre écosystème
La décade, souvenez-vous, fut aussi celle de l’avènement du web et des cybercafés accessibles bientôt absolument partout dans le monde et des premiers réseaux sociaux (Facebook naîtra en 2006). Et malgré les crises géopolitiques, les guerres, les menaces terroristes tout autant que les premières alertes sanitaires ou les crises financières majeures de cette remuante décennie, elle se clôturera en 2010, pour la première fois dans l’histoire du tourisme, par le chiffre d’un milliard de déplacements touristiques sur le globe.
À Lyon, sous les collines de Fourvière, la rue du Bœuf croise désormais prestataires et amis venus du monde entier. Le dialogue et les liens s’élargissent. Robert Putinier, Alain Sebbe, Aline Périer, Philippe Montillier, Hervé Blanchard… impriment leurs instants d’éternité. L’équipe s’étoffe. Damien Tracoulat, futur responsable de l’agence, est encore un jeune stagiaire. Gisèle démarre vingt années de collaboration qui l'amèneront au poste de responsable administrative et comptable. Amitiés et collaborations, salons et festivals, celui du livre de Saint-Malo pour ne pas le nommer : à l’orée des années 2010, Tamera, dans un monde qui ne va cesser d’accélérer encore, est désormais ancrée et identifiée comme un acteur passionné, singulier, décalé et engagé. En France, dans un paysage marqué par la concentration progressive des agences spécialisées, la signature Tamera s’affirme comme celle d’un acteur particulier, pour qui la réduction du monde et de sa diversité, côté voyage, n’est surtout pas prête d’advenir, ni dans ses horizons, ni dans ses catalogues...
© Jean-Marc Porte