MÉMOIRES DU CHEMIN | Pierre Martin accompagnait le groupe de Tamera dans la traversée du Haut Dolpo en août 2017. Il nous en livre un récit épique. Le Dolpo, avec le Mustang, sont les deux régions du Népal accessibles en été. Nous sommes d'ailleurs les seuls à y être partis. Régulièrement, nous publions quelques courtes histoires ou anecdotes vécues par nos participants ou des voyageurs illustres. Nous rentrons dans l’esprit d’une rencontre ou d’un lieu. Ce sont nos mémoires du chemin.
Cet automne, parmi nos nombreux départs confirmés au Népal que vous pouvez découvrir en cliquant ici, nous donnons encore la part belle aux voyages engagés dans des régions reculées : Kangchenjunga, Makalu, Rolwaling et Haute route du Mustang.
De l'intérêt de solliciter la bienveillance des dieux par la pose de drapeaux à chaque passage de col...
Tamera a été le seul tour-opérateur au monde à faire partir un groupe de trekkeurs à l'été 2017 pour une traversée du Haut-Dolpo au Népal. La raison invoquée ? La fermeture de l'altiport de Juphal pour cause de travaux... Il est vrai que l'info a de quoi rebuter une agence de trek ! Mais pas nous, vous allez voir...
Le Haut Dolpo : la région népalaise la plus enclavée qui soit
Le Haut Dolpo se mérite ! Pas de routes d'accès, des liaisons aériennes périlleuses, un altiport en piètres conditions... De toutes les manières, cette année, il était fermé, un point c'est tout ! Et cerise sur le gâteau, c'est l'été au Népal donc la période de la mousson. Elle peut être légère (et les agriculteurs sont mécontents) ou très marquée (là, ce sont les touristes qui sont chafoins...). L'été 2017 a été plutôt favorable aux agriculteurs puisque le pays a connu de gros cumuls de pluie, n'en témognent les dégâts qu'elle a occasionnés dans le sud du pays.
Avis de travaux à Juphal et option hélicoptère
Six semaines avant le départ, nous apprenons la fermeture de l'altiport. Nous pesons le pour et le contre des solutions alternatives :
- se faire déposer en avion à Jumla mais il faut une semaine entière pour rattraper l'itinéraire prévu du côté du lac Phoksumdo. Il ne va plus nous rester grand chose de la traversée...
- faire le trajet à l'envers ? Partir de Jomosom, pourquoi pas mais... une fois à Dunaï que fait-on ? Descendre à pied les dangereuses gorges de la Thuli Bheri khola (6 jours minimum pour retrouver la « douceur » des arrière-cours des cafés de Katmandou dont 2 jours de jeep et de bus à parcourir des pistes rendues glissantes par les cumuls de pluie...) ou franchir le Jang La et rejoindre la route à Darbang (là, ce sont au minimum 10 jours à ajouter au périple d'un trajet plus sécuritaire).
- et l'hélico ? Assurément cher et comme on le verra aléatoire aussi... Plus cher, oui, mais pas exagérément : en réunissant le poste financier billets d'avions, en concédant un retour en minibus de Pokhara à Katmandou en lieu et place de l'avion, etc... David Ducoin de l'agence Tamera donne son accord pour cette option.
Le groupe est composé de 6 personnes. 6 personnes, c'est la charge maximale acceptable pour un hélico Eurocopter avec 6 à 7 kilos de bagages chacun. Pas de quoi assurer un confort correct pour le trek itinérant et sous tente ! Il va donc falloir une deuxième rotation d'hélico pour acheminer les bagages sans certitude météo qu'elle puisse se réaliser à la suite de la première....
Première rotation avec les personnes
Les arrivées des participants depuis l'Europe se sont échelonnées sur toute la journée de dimanche jusqu'à une heure avancée. On apprend vers 21h que la première rotation hélico s'effectuera le lendemain matin à l'aube du fait d'une fenêtre météo conciliante (juste entrebâillée, la fenêtre...). Ca laisse peu de temps pour séparer le contenu des bagages en deux parties : l'essentiel des affaires de randonnée que l'on va emmener en bagage hélico, le « superflu » dans le gros sac qui sera acheminé par la deuxième rotation. Si cette dernière ne peut pas s'effectuer dans la foulée de la première, on pourra tout de même commencer à marcher pour s'acclimater et on attendra l'arrivée des bagages sur les rives du lac Phoksumdo.
La première rotation se déroule parfaitement : le groupe est acheminé par Mike, un ancien pilote américain des Marines, qui louvoie entre les paquets de nuages et les grains pour nous déposer à bon port à Dunaï. On est au Dolpo ! Mais pas encore nos bagages...
Pas de bonnes nouvelles côté météo pour l'après-midi mais aussi pour les deux jours qui viennent : après une après-midi de repos à Dunaï, on exécute le plan prévu à savoir la remontée en 3 jours jusqu'au lac Phoksumdo avec le juste nécessaire. Sur place, le staff népalais a déjà acheminé la nourriture, les tentes, les gamelles... Eux sont prêts ! Nous aussi mais avec nos seules affaires de randonnée et bien peu de possibilités de change. Dans la bonne humeur et en apprenant jour après jour lors des communications par téléphone satellite que l'hélico n'avait pas pu décoller, on s'enfonce dans les gorges de la Suli khola immergées dans la forêt primaire. Ambiance, ambiance ! Le soir, nous sommes accueillis chez l'habitant, on réunit quelques couvertures (habitées elles aussi...) mais comme on dit « il y a pire... »
En attente de la seconde rotation avec les bagages
Attente... Fenêtre météo favorable pour la seconde rotation, l'hélico s'est posé avec nos bagages à Dunaï. On commence à bien connaître le village de Ringmo et ses habitants. Cela fait deux jours que l'on est bloqués ici et voici qu'arrivent nos bagages, acheminés par 4 porteurs qui ont fait le chemin en deux demi journées. Nous, ça nous a pris juste 3 jours... Ils sont trop forts ! Sur notre jour par jour on n'a qu'une journée de retard. Nous redessinons l'itinéraire pour rattraper ce retard au plus vite (on supprimera à regret le détour par Bhijer) et nous nous focalisons sur le contenu du voyage, délivrés de la bassesse des problèmes existentiels...
Nous sommes partis !
La porte d'entrée du Haut-Dolpo nous met de suite dans l'ambiance : un chemin-balcon assez étroit tracé dans une falaise 20 mètres au-dessus de l'eau. Rappelez-vous l'image du yack tombant dans le lac, l'une des dernières séquences du film « Himalaya, l'enfance d'un chef ». C'est là, et nous sommes en train de marcher sur ce sentier, précisément... Les chauds rayons du soleil qui nous inondent depuis ce matin disparaissent une fois de l'autre côté du lac et une belle averse nous refroidit littéralement au moment du lunch. On se réfugie sous une tente nomade, nous mettant de suite dans l'ambiance du Dolpo, son peuple d'origine tibétaine, la fumée âcre du poële dans lequel brûlent des bouses de yack, les étagères remplies de cannettes de bière Lhasa (par ici, pas mal de produits de bouche arrivent de Chine par les caravanes de yacks). Puis le soleil revient. Chaque jour, à deux ou trois exceptions près, on aura les quatre saisons par jour, sauf la neige... Deux jours après notre départ de Ringmo, on franchit le premier col de notre périple, à 5 350 m ça laisse le souffle court ! A l'étape, on prendra le temps de s'imprégner de l'ambiance qui règne à Shey Gompa, le « Lourdes » des bouddhistes du Dolpo, si l'on peut dire... On va changer de vallée mais c'est le même accueil lorsque l'on traverse un village (oh, quelques maisons parfois...) ou un campement de nomades. Les locaux se plient en quatre pour nous faire plaisir : qui en nous faisant déguster leur production de fromage frais de yack ou de chèvre, qui en nous invitant à boire un thé, ou tout simplement pour le plaisir de rencontrer ces « gens qui arrivent du bout du Monde »... alors que pour nous, ce sont eux « les gens du bout du Monde » que nous sommes venus rencontrer...
Quelques moments forts de notre périple
La région est le lieu d'attache de la religion pré-bouddhiste Bön. Nous visitons de minuscules monastères où la salle de prière ne dépasse pas les 20m². Mais aussi nous rendons visite à la gompa de Saldang dont le peintre Norbu a entièrement réhabilité les peintures murales dans son style propre.
Nous longeons des murs de manis (des empilements de roches gravées de mantras placés au milieu des chemins), parfois pendant des kilomètres. On contourne les chörtens par la gauche (dans la majorité des cas...) mais aussi par la droite (lorsqu'ils sont Böns) mais comment donc les reconnaître ? On échange des sourires avec les petits, les grands aussi et les anciens à la peau parcheminée, usée par le froid et les années. Dans la vallée de Saldang, nous devons laisser la place lorsque des dizaines de caravanes de yacks et de mules viennent nous croiser sur les chemins étroits tracés à flanc de falaise où il faut choisir entre être écrasé contre la falaise ou précipité sur le lit de galets 20 mètres plus bas... (je rigole!) On croise de nombreux groupes de mouflons et de bharals. On se laisse survoler par des vautours-fauves à l'impressionnante envergure. et on passe un long moment avec Jojo, le pygargue de Chharka Bhot en train de choisir la consistance de son dîner...
Et on adore traverser les rivières sur un pont quel qu'il soit... Cela ne s'est pas produit souvent... On a pas mal chaussé les sandales aquatiques en fin de compte ! On se souvient aussi de la longue remontée le long de la Thasang khola en se demandant après chaque courbe ce qu'il pourrait bien nous attendre derrière : falaise abrupte, reptation dans de l'eau glacée, bain de boue, caravane de yack qui fonce droit devant elle dans notre direction... On se gave de cèpes et de rosés des prés (le temps légèrement humide prédispose bien à la cueillette...). Par contre, on ne retient absolument rien des sublimes paysages promis sur la fiche technique de Tamera lors du franchissement du dernier grand col à 5 555 m, immergés dans la purée de pois comme rarement ; et dire que le Mukot himal et la chaîne des Dhaulagiris nous y attendent, ce sera pour une prochaine fois, c'est sûr ! Heureusement qu'une éclaircie subite nous permet d'entrevoir les plateaux du Mustang alors que nous entamons la descente sur Kagbeni ; il était, là aussi, annoncé sur la fiche technique comme « peut-être la plus belle journée du trek... »
La réussite d'un trek, c'est une histoire d'hommes... et de mules aussi :
On ne devra pas oublier le qualité du staff népalais, les hommes d'abord avec un cuisinier hors pair, ses kitchen-boys toujours au travail, les assistants de route attentionnés à la cadence de marche et réglés comme du papier à musique, aux deux muletiers et à leurs neuf compagnes sérieuses et travailleuses ... Et tout ce « beau » monde ordonnancé de main de maître par le sirdar de l'expédition, facilitateur et débrouillard, un vrai pro, quoi ! Notre groupe était composé de personnes aux caractères divers (comme souvent...) mais qui a réussi, tout au long de ce mois de villégiature dans une région peu touchée par le modernisme, à garder une convivialité, une unité et un respect de l'autre. Sympathie et compréhension, c'est ce que l'on espère émuler : il est vrai que la petite taille des groupes proposée par Tamera permet de mettre plus de chances de notre coté !
Mais revenons à la puissance spirituelle des drapeaux...
Sortis du sac à chaque passage de col et déployés au vent, ils ont assurément permis que nous attirions la bienveillance des dieux jusqu'au bout du périple. « Ki Ki So So La Gyalo » qu'il déclament par ici ! Arrivés à Jomosom la veille, ce matin de départ (instant toujours théorique au Népal...) les conditions météo ne sont pas exceptionnelles : vent du sud de 50 km/h, gorges de la Kali Gandaki bouchées par de méchants nuages et à l'autre bout, brouillard à Pokhara... Aucun avion ne viendra aujourd'hui, me dis-je, fort de mon expérience de plusieurs années de voyage au Mustang. Nous nous apprêtons à nous rabattre sur la liaison routière vers Beni, beaucoup plus compliquée et sujette à des éboulements subits de pans de falaises entiers à cause de la pluie. Et une rumeur se fait pressante à Jomosom : un avion est en chemin ! Nous sommes prévus sur la deuxième rotation de la journée, qui sait, ça va tenir ? Le premier avion se pose et repart très rapidement. En sera-ce fini pour aujourd'hui ? Après un moment de doute à scruter plus que nécessaire les gros nuages qui bouchent l'horizon au sud, on est appelé par le responsable d'escale de l'aéroport à venir fissa rejoindre la salle d'embarquement car Yeti airlines a décidé de faire décoller le deuxième avion de Pokhara. Mais il va falloir se dépêcher, nous annonce-t-il, car le créneau est aussi ténu qu'un fil de soie. De mémoire, je n'ai jamais assisté à un débarquement / embarquement aussi rapide sur cet altiport : 5 minutes chrono. Décollage immédiat, quelques turbulence au départ puis un peu de rase-mottes et de frôle falaises dans les gorges de la Kali Gandaki avant de franchir le col de Ghorepani. Une fois à Pokhara, retour sans encombres sur Katmandou par la route, un peu long certes puisque jour de fête des femmes, Teej, avec plein de monde dans les villages, des femmes vêtues de saris plus rutilants les uns que les autres, et aussi des centaines de camions à la queue leu leu sur les 170 kms la Privithi Highway. On pouvait enfin « se payer » ce dont tout un chacun avait rêvé pendant le trek : déguster le superbe Chateaubriant de 900g du Mountain Steak House accompagné de nombreuses bouteilles de Gorkha Beer qui a un peu plus de consistance que la lavasse chinoise...
Retrouvez tous nos voyages au Dolpo
Retrouvez tous nos voyages au Népal
Et retrouvez ci-dessous tous nos articles de blog dans thématique " Mémoires du chemin" au Népal en lien avec cet article :
Article de blog l Trekking de la grande boucle du Makalu publié le 17 août 2017
Article de blog l La haute route du Khumbu publié le 26 juillet 2017
Article de blog l Lumbasumba pass, trekking du Kangchenjunga au Makalu publié le 13 juillet 2017
Article de blog | Trekking au pied du Kangchenjunga publié le 30 juin 2017
Article de blog | Les grottes secrètes de la Haute Route du Mustang publié le 29 mars 2017
Article de blog | Camp de base de l'Everest par les hauts cols et l'Island Peak publié le 22 février 2016
Article de blog | Népal : les plus beaux treks, le dernier livre de notre collègue David Ducoin publié le 23 octobre 2016
Article de blog | Les nouveaux sentiers du Népal publié le 20 juillet 2016
Article de blog | Vers les balcons secrets du Népal publié le 07 juillet 2016
Article de blog | Le Mustang : du dernier roi aux premières pistes ! publié le 21 juin 2016